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    L'orchestre philharmonique d’Israël, photographié lors de son 70e anniversaire, 24 decembre 2006
© Yeugene / Wikimedia Commons

    Réponse aux boycotteurs de l’Orchestre philharmonique d’Israël

    Henri Rousseau, La Guerre (vers 1894)

    Tendons l’oreille, on parle de nous tous

    Mairie de Paris (photo Nathan Cima/Unsplash)

    Drapeaux palestiniens sur les mairies : une entorse à l’État de droit

    Francisco de Goya, El sueño de la razon produce monstruos ("le sommeil de la raison engendre des monstres"), 1797/1799 (détail).

    Les fascinations morbides de la gauche radicale

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    Réponse aux boycotteurs de l’Orchestre philharmonique d’Israël

    Henri Rousseau, La Guerre (vers 1894)

    Tendons l’oreille, on parle de nous tous

    Mairie de Paris (photo Nathan Cima/Unsplash)

    Drapeaux palestiniens sur les mairies : une entorse à l’État de droit

    Francisco de Goya, El sueño de la razon produce monstruos ("le sommeil de la raison engendre des monstres"), 1797/1799 (détail).

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Accueil Enquête

« Liberté académique » : l’idéologie contre la recherche (4/4)

Après l’annulation du colloque « L’Europe et la Palestine » des 13 et 14 novembre 2025 dans les murs du Collège de France, on a parlé tour à tour de « pressions », de « censure » et de « liberté académique en danger ». L’événement coorganisé par la chaire d’Histoire contemporaine du monde arabe du Collège de France et par le Centre arabe de Recherches et d’Études politiques (Carep) présentait pourtant de sérieuses failles. Dans ce quatrième et dernier article, la journaliste Ornella Guyet s’est plus particulièrement penchée sur les profils de quatre intervenants dont les prises de positions, très militantes, auraient pu alarmer le monde académique.

Le DDV Par Le DDV
25 novembre 2025
dans Enquête
Temps de lecture : 21 min
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"Meine Augen zur Zeit der Erscheinungen" (Mes yeux au moment des apparitions), August Natterer (entre 1911 et 1913)

"Meine Augen zur Zeit der Erscheinungen" (Mes yeux au moment des apparitions), August Natterer (entre 1911 et 1913)

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Ornella Guyet, journaliste

>> Lire la première partie : « Liberté académique » : un colloque et des militants (1/4)
>> Lire la deuxième partie : « Liberté académique » : à la recherche du 7-Octobre (2/4)
>> Lire la troisième partie : « Liberté académique » : inverser la Nakba (3/4)

Concluons notre tour d’horizon avec quelques interventions particulièrement symptomatiques d’un colloque qui, il faut le rappeler, devait initialement se tenir au Collège de France. Nous avons choisi de revenir sur les intervenants du panel d’Alain Gresh. Si l’ancien rédacteur en chef du Monde diplomatique et actuel directeur du média Orient XXI s’est lui-même peu exprimé, il est une figure tutélaire de l’antisionisme de gauche en France, et cela depuis des décennies. Le choix des invités de son panel est donc signifiant. Nous ne pouvions pas non plus ne pas accorder un développement particulier à Gilbert Achcar, qui, contrairement à d’autres, n’a ni mâché ses mots ni cherché à lisser son discours.

Surtout, ne pas « qualifier le 7-Octobre de “pogrom” » (T. Vescovi)

Parmi les intervenants, un cas, déjà évoqué dans cette série d’articles, est particulièrement caricatural pour ce qui est du mélange des genres : celui de Thomas Vescovi. Doctorant à l’EHESS et à l’Université Libre de Bruxelles (ULB), Vescovi est surtout un cadre de l’Association France Palestine Solidarité (AFPS). Il siège à son conseil national. En avril 2013, il représente l’association au Rassemblement des Musulmans de France (RAMF), organisé au Bourget par l’Union des organisations islamiques de France (UOIF).En mai 2021, il fait partie des initiateurs d’une pétition à l’adresse du président de la République Emmanuel Macron, pour « Protéger les Palestiniens de Jérusalem », qui faisait suite à des incidents ayant opposé juifs ultra-orthodoxes et Palestiniens musulmans pendant le mois de Ramadan. La pétition prenait le parti de la République islamique d’Iran : « L’explosion de Jérusalem coïncide avec la tension croissante entre Tel-Aviv et Téhéran, dont l’armée et les Services israéliens ont bombardé plusieurs tankers et saboté par deux fois la centrale nucléaire de Natanz. […] Nul ne comprendrait que la France, […] continue à se taire ou, pire, à renvoyer dos à dos agresseurs et agressés. »

Thomas Vescovi est le co-fondateur du média Yaani, un « blog indépendant [qui] rassemble bénévolement différentes voix de la jeune recherche » qui a pour « but de fournir des analyses et des récits fondés sur des travaux scientifiques, des observations empiriques et des données objectives. » Là encore, comme on peut le constater, on mélange des sources de qualité très différentes et on affiche ses titres universitaires pour présenter un vernis de légitimité.
C’est au nom de Yaani que Vescovi est intervenu à la dernière université d’été de Révolution écologique pour le vivant (REV), le micro-parti d’Aymeric Caron. À ses côtés : Alain Gresh, déjà, et Meriem Laribi, journaliste pro-palestinienne au passé dieudonniste. Il y a introduit la curieuse notion de « contestation démographique » de l’État d’Israël – on croirait entendre un partisan de la Nouvelle Droite –, qui selon lui ne saurait être à la fois juif, égalitaire et démocratique :

« La stratégie sioniste d’avoir le plus de terres avec le moins d’autochtones, s’est en revanche enrayée. […] On a une démographie qui est aujourd’hui à 50/50 [entre Juifs et Arabes, NDLR] et qui pose une question fondamentale à Israël : soit vous continuez à vous définir comme État juif, mais dans ce cas-là démographiquement, vous êtes tellement contestés que c’est un État d’apartheid, soit vous êtes véritablement un État démocratique : dans ce cas-là, vous ne devez plus vous définir comme État juif puisque vous devez donner l’égalité à tout le monde. Et il faut choisir. Et ce qu’on ne comprend pas à mon avis assez, c’est que Netanyahou fait partie de ce sionisme-là, qui a choisi depuis longtemps : on va être un État juif avant tout, mais on va utiliser le mot de « démocratie » comme un moyen de défense contre les critiques et les attaques. »

Pour lui, il n’existe tout simplement pas de sionisme de gauche :

« qu’on me montre ce sionisme libéral et démocratique en pratique concrètement. Depuis 1948 les Palestiniens, du sionisme, ils n’ont connu que la soldatesque et l’injustice du colonialisme. Ils n’ont jamais vu rien d’autre, peu importe les gouvernements qui ont été en place en Israël. À l’heure où on se parle, dans le champ politique israélien, je peux vous le dire pour l’étudier, je ne connais pas de figure sioniste, libérale et prétendument démocratique qui défend concrètement et véritablement le droit à l’autodétermination du peuple palestinien. »

En octobre 2023, Vescovi expliquait à une agence de presse que classer le Hamas parmi les mouvements terroristes posait « un problème démocratique ». En effet, « Le Hamas n’est pas une organisation comme Daesh ou Al-Qaida », affirmait-il. D’après lui, le Hamas est « un membre à part entière du mouvement national palestinien » et il tire sa légitimité « démocratique » (sic) du fait qu’il est le « parti politique choisi par les Palestiniens pour les représenter lors des législatives de 2005 ». Qu’importe si par la suite le Hamas s’est octroyé les pleins pouvoirs en réprimant ses opposants. Qu’importe si aucune élection n’a eu lieu depuis lors !
Le militant plaidait alors en faveur de la stratégie de « négociation » (sic) du Qatar avec le mouvement islamiste palestinien : « La question n’est pas de savoir si on aime ou pas le Hamas, mais de pouvoir négocier avec eux. La limite c’est qu’en classant le Hamas comme organisation terroriste, vous perdez toute prise sur l’organisation. Certains pays considèrent que le Hamas est représentant de la Bande de Gaza, et donc qu’à tout moment ils peuvent jouer le rôle de médiateur […] C’est ce que fait le Qatar concernant le sort de la centaine d’otages, ils veulent négocier avec le Hamas. »

Thomas Vescovi intervient dans Le Monde Diplomatique, à Orient XXI, dans L’Humanité, sur Mediapart… Il relaie également Jewish Voice for Peace, une organisation juive radicalement antisioniste comme l’Union juive française pour la paix (UJFP)
Son intervention lors du colloque, nous l’avons souligné, était une resucée du chapitre qu’il a écrit dans le livre collectif Gaza, une guerre coloniale. Il y regrettait le fait qu’« une rhétorique s’installe pour assimiler le Hamas à l’État islamique en Irak et au Levant (Daesh), voire au nazisme, et qualifier le 7 octobre de “pogrom” » et que « quiconque essaie de développer une analyse hétérodoxe se confronte au rappel de détails macabres du 7 octobre, alors même que nombre d’entre eux se révèlent faux ». Pour lui, il existe une « essentialisation du Hamas en un groupe fondamentalement belliqueux » qui n’a selon lui pas lieu d’être.

Il est également insupportable à ses yeux que la « propagande israélienne » ait utilisé « un film de quarante-cinq minutes cumulant les pires images les plus macabres du 7-Octobre » car « en diffusant ces images brutes des crimes perpétrés le 7 octobre, l’armée israélienne peut s’assurer d’un traitement médiatique complaisant tout autant que du relais de sa propagande. » Vescovi regrette le fait qu’il « s’agi[sse] de scènes d’une violence inouïe sans contexte ». Cette absence de « contexte » fait qu’« Israël n’est jamais appréhendé tel qu’il est, à savoir un état d’apartheid et motivé par des intérêts colonialistes accusés de crimes de guerre contre l’humanité et de génocide, mais davantage comme un état démocratique menant une guerre légitime contre une organisation islamiste et terroriste ». Autrement dit : Israël n’est pas cet État démocratique « menant une guerre légitime contre une organisation islamiste et terroriste. » Difficile de faire interprétation plus abjecte de ces projections d’images pourtant filmées par les terroristes eux-mêmes pour servir leur propre propagande.

Tout comme ses collègues Stéphanie Latte Abdallah et Véronique Bontemps, Thomas Vescovi a fait partie des organisateurs, le 17 octobre dernier, d’une journée d’étude du même acabit, relayée par l’AFPS et qui avait déjà a pris place au… Collège de France. Un tour de chauffe en quelque sorte ! Déjà, « le caractère génocidaire de la guerre menée par le gouvernement israélien contre la population de Gaza » était évoqué dans la présentation de l’événement, ainsi qu’un supposé « négationnisme » (« denial ») : « des formes de déni du caractère génocidaire de la politique d’anéantissement menée par l’État d’Israël, voire de négation du crime, persistent. » L’objectif affiché était également déjà tout aussi universitaire que militant, puisqu’il s’agissait d’ouvrir « un espace de réflexion critique et de mise en dialogue, destiné aussi à interroger la responsabilité du monde de la recherche face à cette catastrophe. »

« L’effacement de la Palestine découle de l’idéologie du Lebensraum » (H. Al-Taher)

Autre intervenante de ce panel, Hanna Al-Taher, une militante allemande d’origine palestinienne, qui affiche une sensibilité « décoloniale », a fait de la dénonciation des dispositifs mémoriels allemands et de son rapport particulier à Israël son cheval de bataille. Bien que largement méconnue, elle a tout de même été reçue par le journaliste « ultra-woke » britannique Owen Jones, qui dispose d’un auditoire important, et lui a permis de diffuser auprès de son public l’idée que « L’Allemagne a facilité le génocide dès le 1er jour ». La vidéo a été vue plus de 358.000 fois. Une de ses principales activités semble être de faire du lobbying auprès du gouvernement, du système éducatif et des journalistes allemands à coups de pétitions, comme nous l’avons déjà montré.

Pour Al-Taher, l’ensemble du système éducatif allemand censure la Palestine, si ce ne sont les étudiants qui ont occupé les campus après le 7-Octobre. Les enseignements autour de la mémoire de la Shoah et de prévention de l’antisémitisme constituent pour elle une forme de « rééducation » visant particulièrement les enfants et étudiants d’origine palestinienne, arabe et/ou musulmane, le tout accompagnée d’une vision « décoloniale » pour le moins originale s’agissant des rapports entre l’Allemagne et Israël : « L’Allemagne et Israël partagent des trajectoires politiques et des structures sociales similaires, même si la frontière (Israël) est certainement plus violente et meurtrière que la métropole (Allemagne). »
Cela permettrait aux Allemands « blancs » de s’absoudre, puisque ce traitement de la question ne peut tirer ses origines que dans une vision post-coloniale et raciste du monde : « les Allemands blancs de souche chrétienne se considèrent comme ayant atteint la rédemption après l’Holocauste », tente-t-elle ici. « Les Allemands blancs ont pu recentrer les discours suprémacistes blancs sur le statut de victime nationale face à une supposée nouvelle menace civilisationnelle », ose-t-elle encore là.
Elle va encore plus loin dans l’abstract d’un autre de ses articles1Que nous n’avons malheureusement pas réussi à nous procurer. :

« Nous abordons plus particulièrement le silence et l’effacement idéologique de la Palestine dans les milieux universitaires germanophones et interprétons cet effacement comme étant d’origine coloniale et découlant de l’idéologie allemande du Lebensraum, qui régit l’espace et la race « par la science ». […] Tout d’abord, nous délimitons l’idéologie du Lebensraum et ses barrières policières et l’appliquons aux structures actuelles de l’enseignement supérieur et à l’exclusion territoriale des Palestiniens de ces structures par le biais de l’éducation. Dans ce cadre nationaliste épistémique […] la Palestine est devenue un outil central pour le maintien de l’académie blanche, et en tant que telle, constitue une question féministe décoloniale pertinente pour l’étude des structures de pouvoir dans l’enseignement supérieur et les discours politiques allemands. »

Si « l’islamophobie » est bien réelle à ses yeux, l’antisémitisme, en revanche, relève d’une « panique morale » (c’est l’expression qu’elle emploie). Elle met en doute les peurs des Juifs. Évoquant les manifestations sur les campus, elle exprime ainsi ses doutes au sujet de « l’insécurité apparente que ces manifestations auraient créée pour les étudiants juifs ».

On comprend bien ses positions lorsqu’on sait qu’elle a repris à son compte, en 2021 puis le 27 octobre 2023, le slogan du Hamas « water to water » :

Hanna Al-Taher reprenant le slogan « Water to water » ( « De l’eau à l’eau »), en 2021 puis pour illustrer une manifestation pro-palestinienne à Amman en octobre 2023 (NB : la pastèque, symbole de la lutte palestinienne, se dit « watermelon » en anglais).

Voici d’ailleurs comment elle décrit « son » 7-Octobre, « lorsque les factions militaires palestiniennes de Gaza ont lancé une opération armée contre Israël » qui ont entraîné « la riposte d’Israël, qui a pris des proportions génocidaires à l’encontre des Palestiniens » :

« Des parapentes au-dessus de la barrière frontalière de Gaza. Un bulldozer brise la barrière frontalière qui entoure Gaza. La force symbolique de ces images est énorme : évasion, retour, liberté. Un bulldozer, habituellement chargé de détruire les villages et les maisons palestiniens, démolit une barrière frontalière israélienne. Pendant un bref instant, une idée devient possible : la libération. […] Les Palestiniens brisent la technologie qui les détruit. […]

Le fait que le 7 octobre ne soit pas seulement synonyme de mort, mais soit également associé à la liberté, ne peut être simplement ignoré, même si la raison d’État allemande ne peut permettre une telle interprétation.  […] »

Originaire d’Amman où elle est née, Al-Taher a participé à des manifestations en Jordanie en octobre et novembre 2023 en soutien à Gaza. Ses liens avec la Jordanie posent d’ailleurs question puisqu’en tant qu’artiste, elle a reçu le soutien d’une fondation jordanienne créée par un Palestinien pour soutenir les artistes arabes contemporains, la Khalid Shoman Foundation, dans le cadre d’une résidence à Amman avec un projet autour du féminisme (sic !).
Elle écrit très souvent avec Anna Younès, une autre universitaire qui publie sur son profil Instagram des images à la gloire des pirates houthis « sexys » ou dénonçant « l’antisémitisme secondaire », qui s’énonce comme suit selon elle : « Les descendants de l’Allemagne nazie ne pardonneront jamais l’Holocauste aux Palestiniens. »

Novembre 2023 : pendant qu’Hanna Al Taher manifeste à Amman, sa comparse Anna Younes poste des contenus antisémites et pro-Hamas sur Instagram.

Il n’est pas complètement faux de dire qu’il peut être difficile en Allemagne d’exprimer le point de vue palestinien. Malgré tout, rien n’oblige Al-Taher à prendre le chemin de la haine : lui aussi germano-palestinien, Yasin Khalife, bien que partant d’un constat similaire, a choisi la voie du dialogue avec les Juifs et les Israéliens de Berlin pour, ensemble, mieux se comprendre et soigner ses blessures.

Jabary Salamanca : la terre de Gaza, elle, ne ment pas

Omar Jabary Salamanca, écrivain et professeur assistant en sciences sociales à l’ULB, écrit dans Antipode « A radical journal of geography » (sic). Deux mois après le pogrom du Hamas, il a initié la pétition de géographes « Déclaration contre le génocide et en faveur de la libération et du droit au retour du peuple palestinien », que nous avons déjà évoquée. Co-auteur avec Muna Dajani d’un chapitre du livre Gaza, une guerre coloniale, co-dirigé par Bontemps et Latte-Abdallah, Jabary Salamanca aime beaucoup s’écouter parler et s’observer écrire. Il aime les formules et les phrases ampoulées : lorsqu’il décrit par exemple, dans ce livre, l’« inhabitabilité et de la déshumanisation, qui réduisent les écologies vécues par les Palestinien·nes à des terrains vagues impropres à la vie humaine » ; lorsqu’il se dresse « contre les paysages désolés du capitalisme colonial » et évoque « des géographies humaines palestiniennes ». Ou encore lorsqu’il invente des concepts : « nous introduirons le terme d’“écologies de siège” en tant qu’outil analytique pour explorer les relations qui lient la violence génocidaire, les environnements vécus et la résistance anticoloniale en Palestine. »

Néanmoins, c’est un arrière-fond sinistre qui transparaît lorsque l’on se livre à une lecture attentive, un petit côté « La terre ne ment pas » que l’on rencontre habituellement plutôt du côté des illuminés d’extrême droite. Cela commence presque innocemment : « les Palestinien·nes n’ont eu de cesse de reformuler ces spatialités coloniales comme des patries, comme des signifiants de leur rapport à la terre à travers des systèmes politiques, économiques, écologiques et spirituels de gouvernance et de relations. » Puis, il est question de « relation profonde avec la terre », dans laquelle les Gazaouis sont « profondément enracinés ». Jabary Salamanca file la métaphore avec les Amérindiens, les Palestiniens étant en quelque sorte les Amérindiens de notre temps, lorsqu’il évoque « les liens profonds avec la terre, clé de voûte de la vie palestinienne, et le refus de se rendre et d’être déplacés de leurs terres ancestrales ». Jabary Salamaca explique que, selon lui, « en résistant sous terre et en surface, ils et elles se réenracinent, replantent, retravaillent et recalibrent leurs liens avec la terre et ses ressources épuisées. » Comme ne pas songer, dans cette évocation d’une « résistance souterraine », aux tunnels du Hamas…

Le militant est tellement obnubilé par les traditions qu’il ne voit pas les contradictions qui parsèment sont récit, comme lorsqu’il dénonce une famine tout en s’extasiant devant « les cuisines traditionnelles caritatives et communautaires, les takkiyeh-s, qui se sont répandues dans toute la bande de Gaza, offrant de la nourriture et un sentiment d’appartenance à la population ». Il va jusqu’à plaquer une forme de romantisme sur des solutions qui ne sont que des solutions de survie, présentées ici comme le summum du retour aux traditions, telle la « fabrication traditionnelle de fours en argile a été ravivée comme alternative aux cuisinières électriques et à gaz. Ces fours symbolisent une relation ancrée avec la terre et un rejet du siège colonial. » Pas sûr pourtant que les personnes concernées ne préféreraient pas lesdites « cuisinières électriques et à gaz », si elles avaient le choix ! L’appel à la tradition est peut-être rassurant, mais il n’en est pas moins archaïque et particulièrement mal venu dans une situation aussi tragique.

L’apex est atteint lorsqu’il évoque la mort de Yousef Abu Rabea, paysan de Beit Lahia :

« Dans sa mort, il a retrouvé la terre qu’il avait refusé d’abandonner, devenant un symbole de dignité et de sumud. […] Sa vie a été un acte de défi. […] L’histoire du martyr Yousef a ému des centaines de personnes. […] Il ne s’agit pas simplement d’une histoire dont on se souvient, mais plutôt d’une histoire incarnée, semée comme une graine dans le sol, qui lie les gens à la terre. […] Au milieu de l’horreur incessante, l’exemple de Yousef nous offre une lueur d’espoir. […] Être enterré dans la terre qu’il aimait est à la fois un retour et un héritage. »

Culte du martyre, espoir dans la mort, retour à la terre… Tout y est ! « Viva la muerte », comme aurait dit Franco, ou, plus justement, Oussama Ben Laden : « Nous aimons la mort comme vous aimez la vie », ou encore, comme le clame la devise des Frères musulmans : « Le martyre est notre plus grande espérance. » Nulle surprise à ce qu’il cite comme une référence le Dr Ghassan Abu Sittah, recteur de l’Université de Glasgow et persona non grata en Allemagne du fait de ses liens présumés avec les Frères musulmans et le Hamas.

« Comme si le 7-Octobre était uniquement l’expression d’une rage antisémite… » (G. Achcar)

Les intervenants se suivent et se ressemblent. À la fois universitaire et militant de longue date de la cause palestinienne, compagnon de route du Monde diplomatique ou d’Orient XXI, Gilbert Achcaren est rendu à un niveau de radicalisation qui fait froid dans le dos. Il s’était déjà fait remarqué par un article publié dans les heures qui ont suivi le 7-Octobre, dans lequel ils comparaît audacieusement les brigades Al-Qassam, la branche armée du Hamas, aux insurgés du ghetto de Varsovie, parce que, tout comme ces derniers, le Hamas aurait commis «  un acte de bravoure quasi désespéré » dans le cadre d’un « énorme déséquilibre militaire entre le David palestinien et le Goliath israélien » et alors « que les agresseurs dans les deux cas couraient un risque très élevé de mourir ».
Justifiée ainsi, la comparaison, faite immédiatement après l’attaque du Hamas, reste pertinente des mois après, ainsi qu’il l’a répété tant dans la présentation qu’il a faite dudit article dans son livre best of, The Gaza catastrophe que sur le plateau de « Au Poste », l’émission web du journaliste David Dufresne. Or, le livre est sorti cette année et l’émission a été tournée le 1er octobre dernier. Sans un mot pour les civils tués (d’ailleurs, il a tenu à souligner dans « Au Poste » que « Parmi les assaillants, vous avez eu plus de morts que de morts israéliens. »), il évoque dans son livre son enthousiasme initial (et qui a visiblement du mal à retomber) pour « le Déluge d’Al-Aqsa » : « à une époque où l’on savait peu de choses avec certitude sur certains détails horribles de l’opération […] un très grand nombre de partisans de la cause palestinienne dans le monde arabe, auquel j’appartiens à l’origine, ainsi qu’en Occident, saluaient l’opération du Hamas. »
Pour lui, cette attaque doit toujours être comprise comme une « contre-offensive […] en réponse au siège prolongé de la bande de Gaza par Israël et aux attaques meurtrières répétées contre cette région. »

La seule chose qu’il reproche à l’opération, au fond, ce sont ses conséquences pour la Bande de Gaza et ses habitants. À l’en croire, ce serait le fruit du « calcul le plus catastrophique peut-être de l’histoire de la lutte anticoloniale2Gilbert Achcar, The Gaza catastrophe. The Genocide in World-Historical Perspective, Sagi Books, 2025, partie 1. » de la part du Hamas, compte tenu du coup humain de la réplique israélienne, et non une stratégie réfléchie, telle que l’ont exprimée plusieurs de ses leaders dans les jours et semaines qui ont suivi, tel Yahya Sinwar écrivant : « l’effusion de sang profitera au Hamas », car « le grand nombre de victimes imposera une pression internationale sur Israël3Michaël Prazan, La vérité sur le Hamas et ses « idiots utiles », Paris, Éditions de l’Observatoire, 2025. Voir le chapitre 9.. » Un calcul cynique qui a porté ses fruits…

Lors du colloque, il n’a pas déçu non plus. Commençant par évoquer le caractère « exceptionnel » de l’annulation du colloque au Collège de France, il en explique la raison, selon lui : « C’est bien évidemment le poids de la Shoah, qui est devenu un argument central de la propagande sioniste. » Tout comme Laurens dans son livre, lui aussi soutient la thèse d’une collaboration entre sionistes et nazis : « le mouvement sioniste n’était nullement à la pointe du combat contre le nazisme, bien au contraire. Il a privilégié son projet étatique par rapport au sauvetage des juifs européens. Ça commence déjà avec la collaboration du mouvement sioniste avec les autorités nazies, le fameux accord du transfert, l’accord Haavara, en août 1933. »
Pour Achcar, c’est à partir de la constitution à la fin de la guerre de la Jewish Brigade au sein de l’armée britannique que le mouvement sioniste « va, en Palestine, aller tirer un titre de gloire et se présenter comme à la pointe du combat contre le nazisme, évidemment, et faire de cela, et de la Shoah, son argument central. » Tout comme son collègue Henry Laurens, lui aussi tient à relativiser le rôle du mufti de Jérusalem Hajj Amin al-Husseini, dont la carrière collaborationiste n’est rappelée qu’à des fins de « propagande sioniste » – évidemment ! : 

« la propagande sioniste va à dessein, bien sûr, se concentrer sur le tristement célèbre Mufti de Jérusalem Amin Al-Husseini, collaborateur de l’axe fasciste Berlin-Rome entre 1941 et 1945. Cela, dans le but d’établir que le peuple palestinien, qui dans cette optique est présenté comme étant représenté par le Mufti, n’était pas qualifié – pour prendre les termes de ladite déclaration d’indépendance – à l’inverse du peuple juif sur la terre d’Israël. Un double stratagème de propagande pour obtenir le soutien des vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale, qui va se traduire aussi dans le vote à l’ONU en 1947 sur la partition, la Shoah au centre et la nazification des palestiniens et de l’antisionisme arabe, représenté donc comme des continuations du nazisme. »

La conclusion de son propos a été de souligner le lien entre extrême droite et soutien à Israël, une petite musique récurrente tout au long de ce colloque, également reprise, par exemple, par Dominique de Villepin. Lui va beaucoup plus loin en faisant de « l’islamophobie » le « nouvel antisémitisme » :

« Cette convergence se fait sur le terrain commun à toute cette extrême droite occidentale israélienne, qui est l’islamophobie. Le nouvel antisémitisme, s’il fallait utiliser cette formule de nouvel antisémitisme, plutôt l’islamophobie que l’antisionisme, il faut dire. C’est ça le vrai nouvel antisémitisme, au sens du nouveau fonds de commerce de l’extrême droite occidentale sur le plan politique. Tandis que cette thèse du nouvel antisémitisme, qui serait l’antisionisme, va permettre d’absoudre l’ancien antisémitisme, ou plutôt l’antisémitisme européen traditionnel. »

Quant au 7-Octobre, gare à tout parallèle avec la Shoah, cela n’a rien à voir comme l’explique Achcar :

« C’est dans ce contexte-là qu’arrive le 7 octobre, et qu’on va assister à une apogée de l’instrumentalisation […]. La formule magique : « le plus grand massacre de Juif depuis la Shoah » qui veut simplement dire une chose, c’est qu’il y a une continuité entre la Shoah et ce qui se passe en Palestine, comme si le contexte était le même, et comme si le 7-Octobre était uniquement l’expression d’une rage antisémite, comme s’il n’y avait pas de problème d’oppression coloniale, d’asphyxie de territoire, et bon, tout ce que l’on connaît. »

Pour Achcar, le négationnisme se situe ailleurs :

« Donc cette représentation du 7 octobre, la nazification du Hamas, vont aboutir à ce à quoi nous assistons, qui est un nouveau négationnisme. Comme il y a un négationnisme de la Shoah, comme il y a un négationnisme du génocide arménien, aujourd’hui nous assistons à la naissance d’un négationnisme du génocide de Gaza. Et c’est un négationnisme. Il faut appeler les choses par leur nom. »

« Un pouvoir autoritaire » (D. de Villepin)

Des accusations de « censure » ont plu après la décision de l’administrateur du Collège de France de ne pas accueillir, au sein de la vénérable institution, le colloque. Le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche a même été sommé de démissionner… Personne, en l’occurrence n’a demandé l’interdiction d’un événement qui a pu se tenir, même si ce fut dans « une petite boîte à chaussures », pour reprendre le mot de Villepin. L’ancien Premier ministre n’a pas manqué d’alerter l’auditoire sur la menace d’ « un pouvoir autoritaire, qui justifie par la nécessité existentielle la mise au pas de toute voix dissidente, et de tous débats », ajoutant que « la situation dans laquelle nous sommes ce soir en est l’illustration ». Une manière toute personnelle de défendre la République et de « basher » la France dans le cadre d’une opération d’influence du Qatar largement relayée sur les médias sociaux.
Dans cet esprit, les intervenants évoqués dans cet article n’ont pas eu de mots assez durs pour dénoncer ce déplacement. Gilbert Achcar y a vu l’illustration de « l’instrumentalisation de l’antisémitisme » qui selon lui a fait suite au 7-Octobre. Jabary Salamanca a pour sa part a évoqué une situation « symptomatique de la montée du fascisme à laquelle nous assistons à travers l’Europe et le monde. » Abdel Razzaq Takriti aura quant à lui tenu à souligner que « le Collège de France, par exemple, peut se considérer comme un lieu prestigieux, mais aujourd’hui, il s’est révélé être un lieu soumis au pouvoir et incapable de lui tenir tête. Il s’agit en réalité d’une trahison des intellectuels. »
Chacun jugera. Fermez le ban !

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