Zhang Zhang, violoniste et entrepreneure sociale, fondatrice de ZhangOMusiq
C’est l’une des formes d’art les plus accessibles et universelles à laquelle vous pouvez participer où que vous soyez et qui que vous soyez. Alors que de nombreuses autres sont exclusivement transmises au sein de la communauté dont elles sont issues (le kabuki, l’opéra de Pékin ou le Chaâbi par exemple), la musique classique est jouée, enseignée, écoutée et appréciée partout dans le monde.
Peu importe la couleur de peau, le sexe, l’âge ou la religion – à l’exception de celles qui, dans leur dérive radicale, bannissent totalement la musique – vous pouvez écouter, apprendre, chanter, jouer et composer de la musique classique à tout moment. Les instruments sont unisexes et peuvent être appréciés seuls ou en groupe.
Il existe ainsi un merveilleux patrimoine humain créé en Europe, appartenant à toute la planète et apprécié partout dans le monde. Il n’est pas nécessaire d’être autrichien pour jouer Mozart, ni de parler français pour aimer Debussy. Les maîtres, quelles que soient leurs origines, transmettent leur savoir à leurs disciples sans distinction d’identité. L’amour de la musique est un lien qui nous unit au-delà de toutes barrières et frontières.
Ni colonisation, ni conversion
Si certains enfants ont été contraints d’apprendre la musique classique, moi compris, à cause d’un père trop ambitieux, aucun pays n’a jamais été « colonisé » par cette musique à ma connaissance. Aucune nation ni aucun peuple n’a été contraint de l’adopter, obligé de la faire apprendre et jouer. Les musiciens classiques ne font pas de prosélytisme, les conversions sont volontaires et vous pouvez arrêter à tout moment, soit en éteignant la radio, soit en refermant l’étui de votre instrument. L’expression « décoloniser la musique classique » est non seulement ridicule, mais aussi grotesque. Il est une tentative pathétique de dénigrer une forme d’art universelle qui est depuis longtemps l’un des symboles les plus prisés de la créativité et du talent artistique humains.
Il est vrai que, longtemps, les femmes ont été exclues des carrières dans la musique classique. Elles avaient alors beaucoup moins de droits qu’aujourd’hui. Depuis 50 ans toutefois, la musique classique est devenue pionnière en matière d’égalité des sexes. Il n’y a, par exemple, pas d’écarts salariaux entre les sexes dans les orchestres professionnels. Il est désormais standard, depuis 50 ans, d’organiser des auditions de recrutement derrière un paravent afin de s’assurer que les artistes sont choisis pour leur talent, et non pour leur identité.
La plupart des orchestres occidentaux sont composés d’artistes de différentes nationalités et origines. L’Orchestre philharmonique d’Israël en est un excellent exemple. Et il existe de nombreuses initiatives visant à davantage promouvoir une plus grande accessibilité pour tous. Adam Laloum est un musicien classique professionnel très accompli, qui est certainement bien conscient de ces faits. Alors, de quoi s’agit-il ? Quel est réellement le message derrière un titre aussi sensationnel ?
Dans les pas du Hamas
La tribune du pianiste, publié dans un média spécialisé dans la détestation d’Israël, sonne comme un cri de guerre, qui vise à susciter l’indignation contre la Philharmonie de Paris : celle-ci a osé inviter l’Orchestre philharmonique d’Israël et son chef Lahav Shani. Il exige l’annulation de leurs concerts au nom de la justice, affirmant clairement que tout refus sur ce plan constituerait un soutien direct au « génocide », au nettoyage ethnique, aux crimes contre l’humanité et au colonialisme.
Le contenu n’est pas original. Il s’agit là d’un sermon routinier, bien rodé, répété des deux côtés de l’Atlantique depuis octobre 2023, accusant Israël et tous ceux qui ne crachent pas sur cet État de se faire complices de crimes contre l’humanité. Il fait écho non seulement aux militants qui réclament vengeance contre l’État juif au nom de la justice et la paix, mais aussi aux vœux inébranlables du Hamas : faire disparaître Israël par tous les moyens, quel qu’en soit le prix. Après avoir accusé et condamné Israël comme un État criminel « génocidaire » – depuis sa création d’ailleurs –, l’auteur conclut que l’Orchestre philharmonique d’Israël s’apparente à un soldat de l’ennemi.
Peut-être qu’interpréter les œuvres de compositeurs qui ont soutenu Israël ne sera bientôt plus permis. Qu’en sera-t-il de Leonard Bernstein et du grand Zubin Mehta, né en Bombay, directeur musical de l’Orchestre philharmonique d’Israël depuis les années 1970, actuellement chef émérite ?
Jusqu’où ira ce délire ? Peut-être qu’interpréter les œuvres de compositeurs qui ont soutenu Israël ne sera bientôt plus permis. Qu’en sera-t-il de Leonard Bernstein et du grand Zubin Mehta, né en Bombay, directeur musical de l’Orchestre philharmonique d’Israël depuis les années 1970, actuellement chef émérite ? Le chef qui s’était précipité en Israël pendant la guerre des Six Jours, pour donner plusieurs représentations exceptionnelles en signe de solidarité avec le peuple israélien, devrait-il également être pris pour cible et traité comme un colonisateur « pro-génocidaire » ? Faudrait-il d’ailleurs en faire de même pour Leonard Cohen, qui avait chanté pour les soldats israéliens dans le Sinaï pendant la guerre du Yom Kippour en 1973. Pouvons-nous encore chanter « Hallelujah » ?
Ou encore Yamen Saadi, le nouveau premier violon solo de l’Orchestre philharmonique de Vienne, un talent exceptionnel qui a décroché le poste le plus prestigieux du monde en musique classique à l’âge 25 ans ? Né à Nazareth, Saadi a été formé par le premier violon solo de l’Orchestre philharmonique d’Israël, Chaim Taub. Va-t-on lancer un boycott contre lui aussi ? À moins que le fait d’être musulman ne le préserve de vos préjugés et de votre haine…
Les nouveaux gardes rouges
De toute évidence, pour ce genre de guerriers du clavier, le concept du « pas d’almagame » ne s’applique jamais à ceux qui ne répondent pas à leurs critères. « Pas de paix sans justice »… le message est clair : pas de paix tant qu’Israël n’aura pas reculé jusqu’à avant sa création. From the river to the sea, en gros.
Pourtant, curieusement, on ne lira pas un mot sur les atrocités et les horreurs commises le 7-Octobre par le Hamas et les citoyens de Gaza, à l’origine de cette terrible guerre.
Adam Laloum affiche ensuite sa grandeur morale en dévoilant sa propre identité. Né de parents juifs qui se sont rencontrés dans un kibboutz en Israël dans les années 1970, élevé en France, il dit avoir reçu une éducation de « sioniste de gauche » qu’il semble aujourd’hui regretter. Il ressemble en cela à ces jeunes zélés issus de milieux bourgeois ou intellectuels pendant la Révolution culturelle, en Chine, qui faisaient tout leur possible pour montrer qu’ils avaient rejeté les prétendus crimes de leurs parents, afin d’être acceptés par les gardes rouges, espérant être élevés au rang des purs et des bons, en piétinant leur héritage ancestral. Ils allèrent parfois jusqu’à agresser physiquement leurs propres parents pour montrer leur sincérité et être lavés du péché originel : être nés dans le mauvais milieu.
« Les Juifs sont là. Personne ne va les jeter à la mer. » Ah bon ? Adam Laloum doit vivre dans un monde bien meilleur que le nôtre, qui semble ignorer la formidable recrudescence de l’antisémitisme depuis octobre 2023. Être horrifié par la guerre et la souffrance est un instinct humain tout à fait louable ; souhaiter la paix et l’égalité pour tous est une aspiration admirable. Mais cibler des artistes en raison de leur identité, de leur nationalité, de leurs croyances ou de leur lieu de travail ne rendra pas le monde meilleur et n’aura aucun impact sur le bien-être de ceux que l’on prétend défendre. Considérer les artistes de l’Orchestre philharmonique d’Israël comme des criminels, intimider les organisateurs de la Philharmonie de Paris en les traitant de « génocidaires » ne mettra pas fin à la guerre au Proche-Orient et ne sauvera pas des vies. Cela ne fera que promouvoir davantage encore la division, répandre la haine, légitimer la discrimination et les préjugés.
Ponts et paix entre les hommes
La musique est l’un des ponts les plus puissants entre les êtres humains. Même lorsque nous ne parlons pas la même langue, nous sommes capables de chanter et de danser ensemble. C’est un témoignage miraculeux de l’universalisme, la plus belle expression de notre humanité commune. Depuis la nuit des temps, les êtres humains chantent et dansent ensemble, en guise d’offrandes spirituelles aux dieux, ou en commémoration de la vie, comme expressions poétiques de l’âme et comme divertissement, comme source (ré)créative de joie et de plaisir. Faire taire la musique, c’est nier et réprimer notre propre âme.
Au cœur du désert de Gobi, dans les grottes de Mogao, sur les anciennes routes de la soie, on peut encore voir des peintures murales millénaires représentant des musiciens jouant ensemble, utilisant des instruments traditionnels de leurs pays d’origine : chinois, mongols, afghans, bactriens, persans, indiens, grecs, égyptiens… Partageant la musique et cultivant l’amitié, nombre de ces voyageurs ont marché pendant des mois, voire des années, pour atteindre cette frontière occidentale de l’ancien empire chinois. Nos ancêtres comprenaient l’importance de la musique comme moyen de créer l’harmonie et la compréhension mutuelle, de faciliter la communication et la camaraderie, d’instaurer la confiance et la paix.
Nos ancêtres comprenaient l’importance de la musique comme moyen de créer l’harmonie et la compréhension mutuelle, de faciliter la communication et la camaraderie, d’instaurer la confiance et la paix.
Nous sommes aujourd’hui les premiers humains, dans l’histoire de l’humanité, à pouvoir voir le lever du soleil depuis Mars. Trop nombreux sont pourtant ceux qui ne semble pas avoir évolué avec le temps, à avoir abandonné la sagesse de nos ancêtres qui, il y a mille ans, marchaient avec leurs instruments sur le dos, traversant déserts et montagnes, avec leurs chansons et leurs histoires, créant ainsi un lien fort entre les cultures. Beaucoup de ces tribus et royaumes sur les anciennes routes de la soie ne s’entendaient pas ; les artistes n’ont toutefois jamais cessé de partager les chansons et de chanter la beauté de leur patrie en signe de bonne foi.
Si, dans une démocratie, chacun est libre d’exprimer son opinion, les appels à la haine et à la discrimination ciblant d’autres artistes sont indignes, plus encore quand ils émanent d’un de leurs pairs. La liberté d’opinion et d’expression est un droit fondamental en France, mais il ne faut jamais oublier que ce même droit est également accordé aux autres, même à ceux avec lesquels nous sommes en désaccord. En d’autres termes, vous avez parfaitement le droit de ne pas vouloir assister au concert de l’Orchestre philharmonique d’Israël, mais vous n’avez en aucune manière celui de priver vos concitoyens d’effectuer le choix inverse. Exiger que tout le monde se conforme à vos propres croyances et idéologies est la marque des tyrans et des colonisateurs. Cela peut donner l’illusion d’être héroïque… C’est tout simplement ni juste ni pacifique
>> Concert de l’Orchestre philharmonique d’Israël le 6 novembre 2025 à la Philharmonie de Paris.














