Viviane Teitelbaum, sénatrice, secrétaire générale de l’Institut Jonathas, cofondatrice de la Licra Belgique
La commune d’Ixelles – comme d’autres communes en Belgique – a récemment adopté une motion forte consacrant son engagement antifasciste, son attachement à la mémoire de la Résistance et son opposition à toutes les formes de haine, y compris l’antisémitisme, le racisme, la xénophobie, l’orientation sexuelle, l’identité de genre, ou l’origine sociale. Elle affirme qu’Ixelles doit rester une commune où le vivre-ensemble est une réalité, fondée sur le respect de l’État de droit, de la démocratie et des libertés fondamentales.
Je l’ai évidemment votée en âme et conscience. Fille d’enfant cachée, mon ADN est antifasciste – mais pas seulement : il est aussi antitotalitaire. Il m’impose de m’opposer à toutes les formes de radicalisme, y compris d’extrême gauche et islamiste.
Tout serait-il donc pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles ? Hélas, non.
Honteuse falsification
À l’occasion de la commémoration des 80 ans de la Libération, la « Coalition 8 Mai Bruxelles » a cru bon, sous couvert d’antifascisme, d’inviter Thomas Portes, député français, qui appartient à un parti – La France Insoumise – flirtant ouvertement avec l’antisémitisme.
Qui plus est, Portes avait suscité la polémique pour avoir accueilli, en février 2024, lors d’un colloque à l’Assemblée nationale, une ONG turque désignée par les États-Unis comme un acteur clé du financement du Hamas, une organisation classée terroriste par l’Union européenne et les États-Unis.
Tout récemment encore, ce même député s’est publiquement opposé à la dissolution du collectif Urgence Palestine, malgré les soupçons de proximité de celui-ci avec des organisations extrémistes, y compris le Hamas. Il a également été accusé de diffamation pour avoir désigné nommément un jeune Français juif comme complice d’actes de torture à Gaza, sur la base d’informations évidemment non vérifiées.
L’antifascisme n’est pas un slogan. C’est un engagement éthique, cohérent et universel. Il ne peut s’accommoder d’aveuglement politique ou de calcul électoral.
Cette invitation m’a choquée. Elle est en totale contradiction avec l’esprit de la motion antifasciste adoptée par le conseil communal. L’antifascisme ne peut pas être sélectif. Il ne peut être instrumentalisé pour justifier ces mêmes discours qui, il y a 80 ans, ont emporté une partie de ma famille.
L’antifascisme n’est pas à géométrie variable. Comment accepter que l’on puisse faire de l’antifascisme un outil de propagande contre les principales victimes du fascisme hitlérien, au nom d’un soutien dévoyé à la cause palestinienne ?
Soutenir le Hamas – ce mouvement terroriste auteur du plus grand massacre de Juifs depuis la Shoah – c’est trahir la mémoire des disparus. Le discours antifasciste se retourne alors contre ses principales victimes. Falsifié, il devient une arme de destruction massive contre l’État d’Israël, qui fut précisément construit sur les ruines des crimes fascistes.
C’est le sens même du slogan antisémite : « From the river to the sea, Palestine will be free. » Ce slogan ne vise pas à critiquer la politique du gouvernement israélien, mais appelle à effacer de la carte le seul État juif de la planète. C’est une rhétorique d’exclusion – voire d’extermination –, certainement pas de paix.
Double discours
Dans le contexte actuel, où l’antisémitisme connaît une recrudescence préoccupante, y compris en Belgique, il est irresponsable d’inviter, au nom de l’antifascisme, des personnalités ou des organisations qui banalisent cette haine. C’est une forme de double discours qui mine la crédibilité même de la lutte contre le fascisme.
L’antifascisme n’est pas un slogan. C’est un engagement éthique, cohérent et universel. Il ne peut s’accommoder d’aveuglement politique ou de calcul électoral. Le 8 mai est une date de Mémoire, pas un prétexte pour réécrire l’histoire selon les humeurs idéologiques du moment.
C’est en refusant toute forme de haine – même lorsqu’elle se dissimule derrière des habits militants – que nous honorons réellement la mémoire de celles et ceux qui ont résisté au fascisme. Et que nous restons fidèles à l’esprit de la motion adoptée à Ixelles, et dans d’autres communes belges.