La Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra)
La Licra s’exprime rarement sur le conflit israélo-palestinien. Historiquement, depuis les années 1930 où elle se montrait très active en faveur du « rapprochement judéo-arabe », l’association a toujours conservé ses distances, en privilégiant toutefois le langage et les initiatives en faveur de la paix. Ces dernières années, plus particulièrement, dans un contexte de tensions récurrentes, elle a surtout fait entendre sa voix en réaction aux répercussions, sur le sol français et dans l’opinion, d’une problématique transposée en termes nationaux : auto-identification des uns aux Palestiniens, Français juifs désignés comme « sionistes »… avec les tensions et dérapages haineux que l’on sait.
Des mots choisis et assumés
À la Marbrerie de Montreuil, le 14 mai 2023, 75 ans jour pour jour après la création de l’État d’Israël, on commémore la Nakba, la « catastrophe ». L’un des invités d’une soirée organisée par l’Association France Palestine Solidarité (AFPS) en partenariat avec, entre autres, la CGT, la Ligue des droits de l’homme, Orient XXI ou encore l’Union juive française pour la paix (UJFP), insiste : « Le 18 décembre, j’ai été déporté ici en France, en force… déporté, en force… déportation1Les citations sont extraites de la vidéo de la table ronde, accessible à partir du lien suivant : https://www.youtube.com/watch?v=5wjyHNGa7P0&t=83s… » Avocat, Salah Halmouri, connaît le sens des mots et s’abrite derrière la définition du terme dans le droit international. On se souvient que le mot « déportation » avait été utilisé par la députée LFI Ersilia Soudais à l’arrivée à Orly du franco-palestinien, le 18 décembre dernier, en présence de divers élus de cette formation politique. Il avait fait scandale mais avait été maintenu, coûte que coûte, malgré les indignations et les protestations, nombreuses. Il permettait tout simplement de faire mal à peu de frais : oui, ce transfert forcé d’un civil à l’extérieur du territoire où il a sa résidence, pouvait bien, du point de vue du droit international (et notamment de l’article 49 de la Convention de Genève), être nommé « déportation ». Était-il toutefois nécessaire d’en faire un étendard ou un slogan ? Vraisemblablement, cela importait, à écouter Salah Hamouri, lucide, à Montreuil : « Je sais que certains sont sensibles mais c’est ça le mot, ‘déporter’. » En effet, certains sont sensibles aux mots, surtout quand ils sont porteurs d’une histoire et d’une mémoire. Et parce que « certains sont sensibles », et parce que Salah Hamouri désire ardemment faire avancer sa cause, il aurait pu se voir suggérer, cinq mois après son retour, d’avoir recours à d’autres mots, ne serait-ce qu’à des fins stratégiques. Celles-ci justifieraient d’apaiser les termes du débat pour emporter plus largement l’adhésion de l’opinion. Après tout, la langue française – et c’est une chance – n’est pas avare en synonymes : « Le 18 décembre, Salah Hamouri a été expulsé, transféré, renvoyé, banni, proscrit, exilé, sorti, évacué… » Non, il importe qu’il soit « déporté » et rien d’autre comme il importe qu’Israël soit un régime d’ « apartheid » et rien d’autre. « Le réfugié palestinien », l’ « ancien prisonnier politique », comme Hamouri se définit lui-même, démontre par son insistance la nature de son action et les attentes de ceux qui, à ses côtés, se font les complices volontaires de la supercherie lexicale : la propagande, la guerre.
Une propagande de guerre
Les accords d’Oslo de 1993 pour mettre fin aux hostilités entre les deux parties ? Une « faute catastrophique », un texte que l’on aurait dû refuser de signer… L’invité de la table ronde de Montreuil ne voit d’issue que dans une résistance palestinienne unie, de Gaza à la Cisjordanie, de Jérusalem à « 48 » – comprendre : les territoires occupés par les juifs depuis la création de l’État d’Israël. Dans cette rhétorique radicale, Israël perd en effet toute légitimité en tant qu’État : « Pour nous », déclare Salah Hamouri, « nous imposer qu’Israël est un fait accompli, ce n’est plus acceptable pour nous. Israël n’est pas un fait accompli que nous les Palestiniens on doit accepter. » Soit. Mais alors, quid du principe de recherche d’une concorde que privilégient, en France, nos usages et coutumes démocratiques, par lesquels deux antagonistes se donnent les moyens et une chance de parvenir à s’entendre, en sous-pesant les arguments de l’adversaire, en prenant en compte l’actualité et l’histoire ?
Salah Hamouri se moque des pourparlers, de la diplomatie, de la démocratie. Il fait la guerre. Du 9 au 14 mai 2023, 1468 roquettes ont été tirées sur le territoire israélien depuis Gaza. Une bonne nouvelle pour le soldat Hamouri : « Notre résistance, elle a avancé, on a marqué des points. Cinq jours de résistance depuis Gaza ! » Et le front ne demande qu’à s’élargir, explique celui qui plébiscite une insurrection générale : « À Jérusalem, on n’est pas loin d’un grand déclenchement. (…) Le centre de la prochaine Intifada, le prochain soulèvement, ça sera les Palestiniens de Jérusalem, les Palestiniens des Territoires occupés en 1948. »
Salah Hamouri ne prêche pas la paix. Pas plus à Montreuil, à l’EHESS qu’à Toulouse, ou sur le plateau des Glières (Haute-Savoie), le 20 mai dernier, à l’occasion d’un détournement éhonté de la mémoire de la Résistance organisée par le Collectif Palestine vaincra. Ce collectif affirme dans sa « charte » œuvrer à la « libération de toute la Palestine de la mer au Jourdain », et soutenir la « Résistance du peuple palestinien (…) sous toutes les formes qu’elle juge nécessaire et légitime, y compris armée ».
Le 22 juin prochain, à la Bourse du travail, à Lyon, Hamouri débattra avec Jean-Claude Samouiller, président d’Amnesty international, sans contradictoire. L’affiche de la soirée annonce la couleur : « Le peuple palestinien n’a jamais accepté et n’accepte pas le vol de ses terres et résiste, en Cisjordanie, à Gaza et en Israël même. » Les partisans de la paix en seront pour leurs frais. Quant à ceux qui plaident pour le boycott d’Israël mais qui rêvent d’importer le conflit, ils y trouveront assurément leur compte.
Passivité et complicité
Sans préjuger de l’envergure des rencontres à venir, qui permettent à de multiples militants locaux d’ONG, syndicats et associations, de rappeler leurs fondamentaux anticoloniaux et anti-américains, on ne saurait passer sous silence le passage de Salah Hamouri à la prison des Baumettes, à Marseille, où l’homme a pu, il y a quelques jours, s’entretenir avec des détenus. La rencontre a été organisée dans le cadre d’un « festival Ciné-Palestine ». Autrement dit, un groupe de personnes a eu la merveilleuse idée d’organiser une manifestation sur cette thématique, dans un lieu où l’on peut supputer qu’elle est susceptible de trouver un certain écho, en jugeant opportun de solliciter l’expertise de la guest star du moment : l’homme qui a été condamné pour des projets en liens avec le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) et la tentative d’assassinat du grand rabbin d’Israël, l’homme qui est revendiqué par le FPLP comme l’un des siens, qui apparaît sur des photographies aux côtés de ses militants ou aux obsèques de l’un d’eux… Salah Hamouri, qui se fait passer pour un chantre de la justice et de la paix mais dont toute l’activité et les discours le relient à une organisation terroriste au bilan particulièrement sanglant, est l’invité d’un centre pénitentiaire de la République française, où il peut répandre, auprès des détenus, les mots de la discorde et de la haine.
Il faudrait que cette mascarade cesse, que les fonctionnaires qui ont permis cette rencontre invraisemblable justifient auprès de leur administration, et l’administration auprès de son autorité de tutelle, les raisons pour lesquelles un tel incendiaire a pu être accueilli en ces lieux sensibles. Il faudrait que les institutions se décident à opposer à cet entrisme enragé, la force du droit, et qu’elles l’adossent expressément aux valeurs et principes républicains qu’elles sont censées incarner, face à ceux qui les exècrent et les trahissent, sans même plus se dissimuler. Il faudrait enfin qu’une extrême gauche en mal d’idoles révolutionnaires cesse de créer la confusion et soit désignée pour ce qu’elle est : un courant politique à la dérive, perméable à l’antisémitisme et indifférent au terrorisme lorsqu’il sert ses obsessions antisionistes.