Laurent Escure, secrétaire général de l’Unsa (Union nationale des syndicats autonomes)
Tribune parue dans Le DDV n° 686, printemps 2022
Comment concilier représentation d’intérêts catégoriels et intérêt général ? Comment accorder particularités et principes universels ?
Il est de l’intérêt général de représenter et de défendre les intérêts catégoriels. Les principes universels s’usent s’ils ne servent pas dans la défense des particularités.
Cet état d’esprit, le nôtre, porte un nom : humanisme. Le syndicalisme tel que je le conçois est un humanisme qui cherche à rendre concrète la promesse républicaine de liberté, d’égalité, de fraternité. Nous y ajoutons la promotion de la laïcité qui est d’abord le respect de la liberté absolue de conscience : liberté de croire comme de ne pas croire. Nous y incluons l’espérance d’une Europe sociale qui protège les droits des travailleurs selon des standards élevés.
« Il n’y a aucune place dans le travail syndical pour ladite préférence nationale qui n’est qu’un permis de discriminer. Aucune discrimination n’est inoffensive, aucune n’est admissible. »
Ces valeurs sont fortes, elles définissent notre cadre démocratique et régentent notre vie politique ou sociale. Il n’y a donc aucune place dans le travail syndical pour ladite préférence nationale qui n’est qu’un permis de discriminer. Nous avons la conviction qu’aucune discrimination n’est inoffensive, aucune n’est admissible. Cette ligne de clarté est réaffirmée régulièrement dans nos instances et mise en œuvre sur le terrain.
De nouveaux droits et des valeurs à défendre
Une guerre à mort a été déclarée à l’humanisme, par les mots, par les rictus et par les armes. Par un odieux procès vicié, ses ennemis déclarent l’humanisme daté, illusoire, faible, dans l’incantation, inadapté au monde actuel. Leurs formules résonnent suffisamment, il n’est pas utile de leur faire de publicité.
En France, comme en Europe, la poussée depuis la fin du XXe siècle des idées national-populistes nous oblige à poursuivre ce combat pour les droits humains fondamentaux et pour l’humanisme.
« Faut-il des nouveaux droits ? Oui, répond l’humanisme. Faut-il augmenter les droits existants ? Toujours, confirme l’humanisme. »
Faut-il des nouveaux droits ? Oui, répond l’humanisme. Faut-il augmenter les droits existants ? Toujours, confirme l’humanisme. Non et jamais, nous crient les adversaires de l’humanisme avec leurs différentes formes d’attaques.
Une première forme d’attaque porte sur la réalité de l’humanisme. Selon elle, l’humanisme ne serait qu’une façade hypocrite. Cette critique se retrouve dans la bouche de ceux qui haïssent la liberté et oublient que seul notre humanisme admet la critique, à la différence de leur haine. Nous admettons la critique, ils pratiquent la censure.
Une deuxième forme s’en prend à la « performance » de l’humanisme. Elle hurle que les résultats ne sont pas au rendez-vous et que nos valeurs sont impuissantes. Cette critique vient souvent de ceux qui voient tout progrès de l’égalité comme une agression à leur endroit et à leurs privilèges.
Une troisième procède par relativisme. Elle affirme que notre humanisme n’a rien d’universel et entend nous rendre honteux de nos valeurs. Cette critique provient très souvent de ceux qui sont allergiques à la fraternité et professent des idées excluantes alors que notre universalisme inclut.
Résister aux extrémismes et révivifier le débat public
Toutes ces attaques se nomment extrémisme, fascisme, fondamentalisme religieux, national-populisme. Elles ne s’en cachent d’ailleurs plus et surgissent d’un ventre encore fécond.
On connaît parfaitement la formule de Brecht dans l’épilogue de La résistible ascension d’Arturo Ui : « Vous, apprenez à voir, plutôt que de rester les yeux ronds… Le ventre est encore fécond, d’où a surgi la bête immonde. »
« Nous pouvons agir sur la culture citoyenne commune pour apprendre à douter et à raisonner dans la perspective de revivifier le débat public et de parvenir aux solutions par des compromis. »
Aujourd’hui « le ventre » s’appelle éditoriaux, plateaux de télévision, bulles affinitaires et cages numériques où la haine pérore, pose des diagnostics et dresse des ordonnances pour « guérir » notre société. Les bourreaux se déguisent en médecins, mais nous les voyons.
Car notre humanisme, c’est aussi un état d’esprit et une méthode pour ce nécessaire « apprenez à voir » de Brecht. Nous pouvons agir sur la culture citoyenne commune pour apprendre à douter et à raisonner dans la perspective de revivifier le débat public et de parvenir aux solutions par des compromis.
Que l’on ne s’y trompe pas, le débat peut être très conflictuel. Des rapports de force s’expriment et s’opposent mais, à tout le moins, on se parle dans un cadre ouvert et démocratique. Sans ce cadre commun, nous risquons de penser le dialogue social comme un rapport gagnant/perdant, les relations sociales dans une perspective dominant/dominé et la politique comme un monde d’ennemis.
Nous ne voulons pas d’un monde d’ennemis et nous avons beaucoup à faire. Les femmes et les hommes de l’Unsa seront chaque fois au rendez-vous en apportant un syndicalisme tout en humanisme.