Alain Barbanel, journaliste
« Le 22 septembre, quand la France reconnaîtra enfin l’État palestinien, faisons flotter le drapeau sur nos mairies ». L’invitation faite par Olivier Faure, premier secrétaire du Parti socialiste, aux maires de France, de saluer l’initiative d’Emmanuel Macron lors de son discours pour la reconnaissance officielle par la France de l’État de Palestine, le 22 septembre prochain devant l’Assemblée générale des Nations Unies1Hasard malheureux des calendriers, le 22 septembre est également la fête de Roch Hachana, le Nouvel an juif., appelle plusieurs commentaires. Sur le plan juridique d’abord. Les mairies, comme toutes collectivités territoriales sont tenues par un principe de neutralité des services publics qui les oblige à s’empêcher de soutenir des choix politiques internationaux, ou, sur le plan intérieur, des grèves ou toutes formes de manifestation. Rien ne les empêche de s’investir dans des programmes ou aides sociales aux personnes, de relayer des soutiens pour les migrants ou des familles en difficulté, mais afficher un choix politique leur est formellement interdit car il heurte de plein fouet le principe républicain de neutralité.
La mairie n’est pas un lieu partisan
Ce n’est pas la marque d’une indifférence morale mais une exigence caractérisant la République qui ne doit pas se confondre avec une opinion. Son principe doit garantir un cadre commun qui permet à chacun de trouver sa place, quelles que soient ses origines, croyances ou sensibilités.
Plusieurs précédents existent en la matière. Le Conseil d’État l’a rappelé à plusieurs reprises : les bâtiments publics ne doivent pas servir de supports à des manifestations partisanes, religieuses ou idéologiques. Il a été ainsi jugé illégal d’installer des crèches de Noël dans les mairies lorsqu’elles ne relèvent pas d’un usage culturel mais d’une démarche confessionnelle. Ainsi, brandir le drapeau d’un État étranger dans un contexte conflictuel n’a rien de neutre. Au lendemain du pogrom islamiste du 7-Octobre, la ville de Nice s’était d’ailleurs fait enjoindre par le juge d’enlever son drapeau israélien, signe d’hommage aux victimes des attentats. Il serait aujourd’hui perçu comme un soutien à la politique de Benyamin Netanyahou.
Alors pourquoi accepter de hisser le drapeau ukrainien ? Le Tribunal administratif de Versailles a récemment validé l’idée qu’avec l’Ukraine, l’affichage de ce drapeau n’était pas contraire au principe de neutralité, car il s’agit d’une marque de solidarité et non d’un message politique, à condition que cette décision du maire soit approuvée par le conseil municipal. Ce geste est l’expression d’une unanimité internationale, celle d’un État souverain attaqué par un pays, en violation de ses propres engagements, à savoir l’accord de Minsk2L’accord de Minsk a été signé le 5 septembre 2014 par les représentants de l’Ukraine, de la Russie, des républiques autoproclamées de Donetsk et de Lougansk, et de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Il met fin à la guerre du Donbass, qui s’inscrit dans la guerre russo-ukrainienne débutée en avril 2014.. Une unanimité qui est loin d’être le cas pour la Palestine dont la reconnaissance internationale attise toutes les passions dans un conflit territorial et politique polarisé depuis le 7-Octobre sur le territoire d’Israël.
Une double erreur : juridique et morale
Hisser ce drapeau dans le contexte actuel ne peut qu’être interprété par le législateur comme un soutien à une cause nationale et un acte partisan, susceptibles de nuire à l’ordre public. En s’écartant de ce principe, les élus ouvrent la porte à une forme de « concurrence des drapeaux ». Pourquoi pas, demain, au frontispice de nos mairies hisser ceux du Kurdistan, du Sahara occidental ou de tout autre peuple en lutte ? Doit-on le rappeler que la mairie et le maire, qui est un élu de la Nation, n’ont pas vocation à se prononcer sur la reconnaissance d’un État, sur la légitimité d’un gouvernement ou sur l’interprétation d’un conflit international ? Cela ne relève pas de sa compétence et de tels actes ajoutent un peu plus à la fragmentation de l’espace républicain.
Et c’est là enfin qu’Olivier Faure ajoute une faute morale à l’erreur juridique. La situation actuelle est suffisamment tendue pour ne pas jouer les pompiers pyromanes. Comprise par une partie de la population comme un signe de solidarité et de compassion envers les Gazaouis, la présence sur nos mairies d’un drapeau incarnant un État, qui est très loin de garantir aujourd’hui les conditions de sécurité pour Israël, peut être légitimement ressentie par les citoyens Français, juifs ou non juifs, a minima comme une expression d’hostilité à l’égard de l’État hébreu, a maxima comme une provocation qui ajoute à l’antisémitisme ambiant. La mairie, symbole de l’État et de l’espace commun, universel, a-t-elle pour mission d’exacerber les clivages ? Assurément non. Qu’Olivier Faure poursuive par cette requête des ambitions électoralistes pour récupérer des voix de la France Insoumise dans la perspective d’une nouvelle dissolution est une chose, qu’il jette de l’huile sur le feu sur un sujet aussi explosif relève de l’inconséquence politique.