François Rachline, écrivain
Tout au long de l’histoire, les pires crimes ont été glorifiés en tant que grandes victoires militaires, nécessités idéologiques ou impératifs religieux. La plupart du temps, leurs auteurs s’en vantaient. Les scribes d’Assurbanipal(Assyrie, VIIᵉ siècle av. J.-C.) détaillaient l’anéantissement de villes entières, parce que révoltées. Dans la Guerre des Gaules (52 av. J.-C.), Jules César décrit lui-même la mise à mort qu’il jugeait indispensable des Eburons et de dizaine de milliers d’autres Gaulois. Un chroniqueur chrétien comme Raymond d’Aguilers parle d’un triomphe divin quand il décrit des rues « inondées » de sang juif et de sang musulman lors de la prise de Jérusalem par les Croisées en 1099. Houlagou Khan, petit-fils de Gengis Khan, met à sac Bagdad en 1258 et célèbre l’immolation de 800 000 habitants. Dans leurs lettres au roi d’Espagne (années 1520), Hernan Cortez et Francisco Pizarro justifient les tueries d’Indiens au nom de la foi chrétienne. En 1792, Marat assume totalement les « massacres de Septembre » qu’il qualifie de « justice populaire ». Quant à la propagande hitlérienne, elle se félicitait encore en 1942 des exécutions massives pratiquées en Pologne.
Par anticipation des châtiments, compte tenu de leur barbarie, les nazis mirent en œuvre, dès juillet 1943, « l’opération 1005 » visant à démanteler aussi rapidement que possible les camps d’extermination de Treblinka, Sobibor et Belzec, puis, en 1944 sur ordre express de Himmler, celui d’Auschwitz. Les criminels s’efforçaient alors d’effacer toutes les traces de leurs méfaits pour mieux les nier. L’avancée des troupes soviétiques à l’Est et celles des Alliés, à l’Ouest, avait sans doute commandé de telles dispositions.
Devant les abominations dont il fut le théâtre, le XXe siècle n’a pas seulement mis en évidence lors du procès de Nuremberg ce qui le défigurait, il a décidé de définir l’humanité de l’homme par les crimes à son endroit. Certes, les khmers rouges au Cambodge (1975-1979) défendaient encore publiquement leurs purges comme de grandes actions révolutionnaires, mais la conscience universelle acceptait de moins en moins l’apologie de la folie sanguinaire pour se dédouaner des atteintes à la personne humaine et à sa dignité, quelles que soient les raisons invoquées par les assassins.
Le 7-Octobre a brisé un mouvement général dont on pouvait penser, malgré sa lenteur, qu’il apportait plus d’humanité à l’humanité.
Le 7-Octobre a rompu sauvagement avec cette logique. Ce jour-là, il n’était plus question de dissimuler mais d’afficher autant que faire se pouvait, de partager l’abjection dans l’allégresse, de filmer l’horreur pour la diffuser au plus grand nombre. Si Goebbels écrivait dans son journal, en 1943, que « l’Histoire nous considérera comme les plus grands hommes d’État de tous les temps, ou comme les plus grands criminels », les terroristes du Hamas, eux, n’ont entretenu aucun doute sur eux-mêmes : ils ont revendiqué sans la moindre réserve les viols, les dépeçages des corps, les tortures, les violences infinies en se qualifiant de « résistants ».
À quoi donc « résistaient-ils ? » À l’existence pure et simple d’un voisin qui ne demande qu’à vivre en paix. Ils ont décapité, égorgé, éventré, éviscéré des femmes, des enfants, des bébés, des hommes, des vieillards, uniquement parce que ceux-ci vivaient en Israël et ne pouvaient être que des juifs, donc des ennemis. Leur motif était génocidaire, contrairement à la guerre meurtrière de défense et de représailles qu’ils ont déclenchée. La haine absolue guidait leurs bras. Ils ont terrorisé les victimes, exerçant leur cruauté à l’égard d’otages, enlevés sur le sol israélien ou gazaouis soumis à leur tyrannie. Ils ont perpétré leurs atrocités au nom de la charte du Hamas, inspirée directement du fondateur des Frères musulmans, Hassan al-Banna, dont l’article 7 parle « d’envahisseurs sionistes » et affirme que « les rochers et les arbres diront, Ô Musulmans, Ô Abdallah, il y a un juif derrière moi, viens le tuer. » Quant à l’article 13, il déclare qu’il « n’y aura de solution à la cause palestinienne que par le djihad », c’est-à-dire par l’élimination définitive des juifs au moyen de la « guerre sainte ».
Le 7-Octobre a donc brisé un mouvement général dont on pouvait penser, malgré sa lenteur, qu’il apportait plus d’humanité à l’humanité. D’autant que ce coup d’arrêt fut salué dans plusieurs pays, dont la France, par des intellectuels, des étudiants, des partis politiques, qui ont absout ces auteurs d’infamies jugées acceptables, voire légitimes. Par ses agissements, le Hamas a réactivé une abjection dont on pouvait croire au déclin progressif. Il a redonné au monde un visage d’inhumanité.
Décidément, le 7 octobre 2023 n’est pas une date comme les autres. Ce qui s’est passé ce jour-là n’est pas arrivé aux Israéliens, mais à l’humanité tout entière.
*Dernier ouvrage paru : Inhumanité (Hermann, septembre 2025)
