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Michel Tibayrenc : « La diversité de notre espèce ne veut pas dire hiérarchisation »

Michel Tibayrenc travaille sur la génétique et l’évolution des maladies infectieuses depuis trente-cinq ans. Dans «Notre humaine Nature», coécrit avec Francisco Alaya, il fait voyager le lecteur dans ce qui fait de nous des humains. Or sa démarche scientifique le conduit à aborder des débats dans lesquels les préjugés et les idéologies jouent un rôle majeur. Son constat d’inégalités innées entre différentes catégories humaines, notamment face à la maladie, est une invitation à consolider le discours antiraciste.

Le DDV Par Le DDV
28 juin 2022
dans Entretien
Temps de lecture : 17 min
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Michel Tibayrenc (Alex de Blonay, acreativephotography.com)

Michel Tibayrenc (Alex de Blonay, acreativephotography.com)

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Propos recueillis par Isabelle de Mecquenem, agrégée de philosophie, directrice adjointe du Réseau de recherche sur le racisme et l’antisémitisme, membre du Conseil des sages de la laïcité
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Vous venez de publier Notre humaine Nature avec Francisco Ayala, un chercheur américain. Il s’agit d’une synthèse des connaissances, mais aussi des controverses au sujet des origines et de la nature de l’humanité. Votre perspective est à la fois celle d’une synthèse et d’une critique scientifique des sciences. Mais d’abord, pouvez-vous vous présenter ?

Michel Tibayrenc, docteur en médecine, docteur d’État ès sciences. Né en 1947, père de trois enfants, remarié à une Thaïlandaise, dont j’ai à peu près appris la langue, ce qui plaît beaucoup aux habitants du pays quand je séjourne là-bas. Indispensable pour pénétrer l’âme d’un peuple, recette bien sûr appliquée dans les autres contrées où j’ai vécu. Après quelques années de pratique médicale classique, en particulier en Algérie, je me suis tourné vers la recherche, recruté par l’Institut de recherche pour le développement (IRD). Selon la pratique de cet institut, j’ai travaillé de nombreuses années en dehors de l’Hexagone : un an en Guyane française, sept ans en Bolivie, cinq ans aux États-Unis, trois ans en Thaïlande. J’ai été pendant vingt ans directeur d’une unité mixe de recherche (UMR) entre l’IRD et le CNRS au centre IRD de Montpellier. Mon activité de directeur de recherche m’a donné le privilège de former de nombreux étudiants du sud (car c’est là une des missions clés de l’IRD) : des Africains, des Maghrébins et, surtout, des Latino-Américain, de par mon passé « bolivien ». En 2000, j’ai fondé la revue scientifique Infection, Genetics and Evolution, éditée par Elsevier, dont j’ai été le rédacteur en chef jusqu’à l’an dernier. Ma spécialité scientifique est l’évolution des maladies infectieuses.

Pour quelles raisons la nature humaine représente-t-elle un sujet « explosif », comme vous l’écrivez ?

Le terme n’est pas de moi, mais il est adéquat. Se pencher sur la nature humaine en s’efforçant de ranger tous préjugés au placard, comme c’est mon cas, conduit à aborder des sujets qui sont autant de débats incandescents à l’heure actuelle, débats dans lesquels les préjugés et les idéologies jouent un rôle majeur, que ce soit dans un sens ou dans l’autre : inégalités innées de l’intelligence, différences innées entre femmes et hommes, statut médical de l’homosexualité, existence de « races » humaines. Ce ne sont pas des sujets faciles, mais ce sont les seuls qui m’intéressent. 

« La théorie de la haute antiquité de l’homme est très généralement admise, y compris chez la plupart des croyants. En revanche, beaucoup de débats subsistent sur le chemin évolutif ayant abouti à l’homme actuel. »

Pour un chercheur en génétique, que signifie la question des « origines de l’humanité » ?

Qui sont nos ancêtres, et quel a été le chemin évolutif ayant conduit à l’homme actuel ? À part les créationnistes, je pense que peu de gens adhèrent encore à la croyance que la Bible est un récit historique factuel. La théologie catholique a intégré dans son dogme la théorie de l’évolution, ce qui ne manque pas de surprendre certains « bouffeurs de curés ». Le Vatican a organisé des colloques sur la théorie de l’évolution. À ma connaissance, les théologiens actuels voient la Bible comme un récit initiatique chargé de symboles, et peignant une cosmogonie qui reflète les croyances de l’époque à laquelle les livres saints ont été écrits. La théorie de la haute antiquité de l’homme est donc très généralement admise, y compris chez la plupart des croyants. En revanche, beaucoup de débats subsistent sur le chemin évolutif ayant abouti à l’homme actuel. Chaque découverte d’une dent ou d’un tibia bouleverse passablement nos concepts. Selon le mot plaisant de l’abbé Breuil1Henri Breuil (1877-1961), prêtre catholique et préhistorien français, était surnommé le pape de la Préhistoire., grand préhistorien, « le berceau de l’humanité est un berceau à roulettes ».

Votre ouvrage étudie les forces qui ont modelé l’espèce humaine : la sélection naturelle et l’épigenèse. Mais il y a aussi l’évolution culturelle, dès la préhistoire. Comment ces forces hétérogènes ont-elles interagi ? Continuent-elles de le faire sans que nous le sachions ?

L’« effet Baldwin »2En 1896, le philosophe et psychologue américain James Mark Baldwin (1861-1934) proposa une théorie qu’il appela « un nouveau facteur de l’évolution », qui deviendra l’effet Baldwin, soit un mécanisme de sélection spécifique sur les capacités d’apprentissage. désigne l’impact des comportements appris, culturels, sur la sélection naturelle. Un exemple classique est la tolérance au lactose, une caractéristique qui n’est pas généralisée à toute l’humanité. En l’absence du variant génétique qui commande cette tolérance, les enfants sevrés digèrent mal le lait. La tolérance au lactose est beaucoup plus fréquente en Europe, en particulier dans le nord du continent, et chez certains peuples africains comme les Massaï du Kenya et les Peuls en Afrique de l’ouest. On pense que cette tolérance au lactose s’est développée chez ces peuples parce qu’ils ont pris l’habitude de consommer des produits lactés depuis des millénaires.

Par ailleurs, il est fort probable que les conduites culturelles continuent d’interagir avec la sélection naturelle à l’heure actuelle. Prenons l’exemple du paludisme. De nos jours, les Africains paient encore un tribut spécialement lourd à cette maladie parasitaire. Au fil des millénaires, les enfants africains ont développé une certaine résistance au paludisme par rapport aux enfants d’autres origines. On peut craindre que les moyens médicaux (donc culturels) développés contre la maladie (en particulier les moustiquaires imprégnées d’insecticides, qui protègent contre la piqûre des moustiques vecteurs) aboutissent à la longue à émousser cette résistance des enfants africains.

« Homo sapiens est une espèce très plastique, mais pas à l’infini. Nous avons un programme génétique qui fixe certaines limites et ces limites ne peuvent être repoussées qu’au prix de millénaires de sélection naturelle. »

Chaque fois qu’un comportement culturel interfère avec la mortalité, surtout la mortalité en bas âge, il a un impact sur la sélection naturelle : les enfants morts ne transmettront jamais leurs gènes à une descendance.
Les découvertes récentes sur l’épigénétique jettent une lumière nouvelle sur cette interaction culture/sélection naturelle. L’épigénétique désigne tous les phénomènes biologiques qui changent l’expression des gènes sans modification de la séquence ADN. On pense maintenant que des comportements, non seulement de la mère, mais des deux parents, comme le tabagisme, peuvent avoir des effets sur leur descendance, et ce, sur plusieurs générations.

Diriez-vous que homo sapiens se caractérise par sa plasticité plutôt que par une « nature » supposée stable ?

Pas de doute que nous sommes une espèce très plastique, mais pas à l’infini. Nous avons un programme génétique qui fixe certaines limites et ces limites ne peuvent être repoussées qu’au prix de millénaires de sélection naturelle. Pour prendre un exemple avec un pays que je connais bien et que j’aime, la Bolivie, la vie en altitude (La Paz s’échelonne de 4 000 à 3 200 mètres) n’est pas bénigne. Lors de la Conquista, la ville a été d’abord établie sur l’Altiplano, qui a une altitude constante de 4 000 mètres. Les femmes espagnoles faisaient fausse couche sur fausse couche, stressées qu’elles étaient par l’altitude. C’est pourquoi les conquérants se sont par la suite établis dans la vallée, où l’environnement est moins rude. Mon ex-femme a fait elle-même plusieurs fausses couches à La Paz. Le médecin bolivien qui la suivait nous a confirmé que c’était fréquent chez les femmes européennes. Mais les Indiens Aymaras, qui sont là depuis des millénaires, sont très bien adaptés à cet environnement extrême, et leurs femmes ne présentent aucun problème obstétrical lié à l’altitude.

L’unité et la diversité de l’espèce humaine ne dépendent-elles que de la méthode de lecture ? Quelle est la vôtre ?

Il n’y a pas de doute que la grille de lecture, l’orientation politique, la formation, jouent un rôle considérable dans notre regard sur la nature humaine. Ma méthode de lecture est scientifique et se veut la plus objective possible. Je pense que la diversité de notre espèce doit être absolument prise en compte car c’est un formidable outil de travail pour la recherche biologique. De plus, sur le plan médical, la diversité des populations humaines est une composante essentielle. Cependant, toujours du point de vue médical, il est également crucial de considérer l’impact de l’environnement au sens large : statut socio-économique, niveau d’éducation, accès aux soins, nutrition, hygiène de vie.
J’ajoute que diversité ne veut pas dire hiérarchisation.
Une autre composante importante de ma vision de la nature humaine : la biologie apporte certaines réponses essentielles, mais elle n’est absolument pas à même d’épuiser le sujet. La contribution des sciences humaines est cruciale. Je pratique ce que je prêche : je suis passionné d’histoire contemporaine et cela a contribué grandement à ma vision de la nature humaine. Dans le livre, Francisco Ayala (qui est docteur en sciences, mais aussi en philosophie et en théologie) et moi avons tenté de cerner le mieux possible cette contribution essentielle des sciences humaines.

« Dans le passé, le projet de décrire des “races” a indubitablement servi des agendas racistes et colonialistes. »

Enfin, une de mes préoccupations est de faire un tri constant, dans nos connaissances, entre ce qui est très robuste, étayé par de nombreux faits, ce qui est encore spéculatif, et ce qui est manifestement à rejeter, en tout premier lieu les « fake news » évidentes, qui sont une nuisance omniprésente dans des sujets controversés tels que la nature humaine. Même dans des médias scientifiques professionnels, il y a une tendance dans la science actuelle au spéculatif et au sensationnalisme, qui nuisent à la crédibilité de la pensée scientifique. Dans les réseaux sociaux, n’en parlons pas.

Vous vous appuyez notamment sur l’histoire des sciences et vous rappelez que des anthropologues européens décrivant l’humanité comme une pluralité de « races » ont pu encourager ou présenter eux-mêmes des conceptions racistes. Mais ce projet est-il intrinsèquement raciste ?

Dans le passé, le projet de décrire des « races » a indubitablement servi des agendas racistes et colonialistes. Depuis mon enfance, un de mes livres préférés est un luxueux ouvrage de vulgarisation des éditions Larousse de 1923, Les Animaux3Les Animaux, par Louis Joubin et Auguste Robin, collection Histoire naturelle illustrée, Paris, Librairie Larousse, 1923., qui est toujours en ma possession. Le chapitre consacré à l’homme est pétri d’un racisme stupéfiant. Mais il faut dire qu’à cette époque, qui connaissait l’apogée de l’expansion coloniale, la « supériorité » de l’homme blanc (de préférence anglo-saxon) apparaissait indiscutable, et sa domination sur les autres peuples, toute naturelle. En revanche, selon l’anthropologue Jean-Pierre Bocquet-Appel4Jean-Pierre Bocquet-Appel (1949-2018), anthropologue français., qui fut enseignant à l’École des hautes études en sciences sociales, Henri Vallois5Henri Victor Vallois (1889-1981), anthropologue et paléontologue français., l’auteur de l’ouvrage Les races humaines6Les Races humaines, Henri Vallois, première édition, Presses universitaires de France, 1947, 7e édition, Que sais-je ?, 1967. était racialiste sans être raciste, car s’il a décrit très finement les différentes populations géographiques, il n’adhérait pas à l’idée d’une hiérarchie des « races » humaines. Du reste, Vallois a toujours refusé de s’associer à la politique raciste du régime de Vichy. Plus près de nous, le fameux évolutionniste Theodosius Dobzhansky7Theodosius Dobzhansky (1900-1975), biologiste, généticien et théoricien de l’évolution. a toujours défendu l’existence des « races » humaines, alors que cet auteur était un humaniste convaincu et ne pouvait absolument pas être soupçonné de racisme. Ruth Benedict8Ruth Benedict (1887-1948), anthropologue américaine., élève de l’anthropologue Franz Boas9Franz Boas (1858-1942), anthropologue américain., dont elle partageait la vision égalitariste de l’humanité, recommandait de distinguer étude des races et racisme.
De nos jours, pas mal de chercheurs biomédicaux, en particulier aux États-Unis, continuent de prendre les groupes géographiques principaux (Européens, Africains, Asiatiques) comme unités d’étude (« proxy ») sans qu’on puisse les soupçonner de racisme. Ce qu’on note, par contre, c’est l’abandon progressif du mot « race » seul dans cette littérature scientifique. Beaucoup d’articles utilisent dorénavant le terme « race/ethnicity/ancestry » (REA).

Michel Tibayrenc (Alex de Blonay, acreativephotography.com)

Le consensus scientifique autour de l’inexistence des races humaines a été consacré par l’Unesco comme fondement de l’antiracisme éclairé depuis la Seconde Guerre mondiale. Le risque n’est-il pas désormais que des biais antiracistes conduisent des scientifiques à infléchir leur interprétation de données et de résultats ?

En fait, la première déclaration de l’Unesco (1949) n’évacuait pas la notion de « race », mais se contentait de condamner le racisme. Pierre-André Taguieff, dans son récent ouvrage « Race » : un mot de trop ?10« Race » : un mot de trop ?, Pierre-André Taguieff, Paris, CNRS éditions, 2018., a décrit certains excès de l’« antiracisme scientifique ». Le risque dont vous parlez a été souligné par David Reich11David Reich, né en 1974, biologiste américain et généticien spécialiste de l’ADN fossile., le spécialiste mondialement connu de l’ADN ancien, dans son remarquable livre Who We Are and How We Got Here12Who We Are and How We Got Here, David Reich, Oxford University Press, 2018., Reich a insisté sur le danger de minimiser ou nier à tout prix les différences « substantielles » (ses propres termes) qui peuvent exister entre populations géographiques. Il a recommandé de se préparer à la possibilité que des différences d’aptitudes cognitives puissent avoir une base génétique et puissent présenter des différences statistiques entre populations géographiques (page 258 de son livre). Il vaut de souligner que David Reich s’est fait passablement incendier à cause de ces propos peu en accord avec le « changement absolu de paradigme ». Cependant, il serait erroné à mes yeux de soupçonner un quelconque racisme chez cet auteur, qui est l’archétype du scientifique rigoureux et intègre.

« La diversité génétique des populations européennes ne constitue qu’une fraction assez faible de la variabilité génétique totale de notre espèce. En se basant sur ce seul échantillon européen, on passe donc à côté de nombre de variants génétiques qui n’existent pas chez lui. »

Un exemple très récent qui illustre la préoccupation de Reich est celui de la société américaine de pédiatrie, qui vient de recommander de ne plus tenir compte de l’origine ethnique dans la pratique pédiatrique (Science, 13 mai). Cette décision me parait obéir à des préoccupations éthiques et morales plus que médicales. Par exemple, certaines affections comme la drépanocytose (anémie falciforme), ont une prévalence beaucoup plus forte chez les enfants d’ascendance africaine. Occulter volontairement de tels faits me paraît fort peu scientifique. De plus, cela va à contre-courant de nombre de contributions récentes, qui recommandent formellement d’augmenter dans toutes études biomédicales portant sur l’homme la proportion de populations non européennes, et donc de faire le plus grand cas de l’origine géographique des populations. En effet, nos progrès en génomique humaine sont actuellement obérés par le fait que beaucoup de connaissances ont été acquises à partir d’échantillons purement européens, ce qui fausse nombre de résultats. Ce biais s’explique par le fait que la diversité génétique des populations européennes ne constitue qu’une fraction assez faible de la variabilité génétique totale de notre espèce. En se basant sur ce seul échantillon européen, on passe donc à côté de nombre de variants génétiques qui n’existent pas chez lui.

Vous montrez l’existence d’une « diversité profonde » pour parler comme le multiculturaliste Charles Taylor, d’une différenciation « génomique », des populations humaines qui ne se limite donc pas à la couleur de peau. Peut-on être antiraciste tout en soutenant cette affirmation ?

Sauf erreur, je n’ai pas parlé de diversité « profonde ». Je n’aime pas ce genre de notation subjective, source de malentendus en science. Il faut toujours tenter de substituer à ces termes flous des quantifications précises. Ceci dit, les populations géographiques diffèrent par de nombreux traits hormis la couleur de la peau, en particulier pour la susceptibilité à nombre de maladies. Relever des différences statistiques entre ces populations n’est, à mes yeux, aucunement raciste. Voyez ci-dessus ce qu’en dit David Reich.

Le débat sur l’inné et l’acquis est sans fin, comme vous l’affirmez. Cependant, vous soulignez l’existence de bases innées de nos capacités de connaissance par exemple. Sur quels aspects l’innéisme vous semble-t-il dominer dans l’humanité ?

Je cite effectivement des auteurs qui soulignent l’existence de bases innées de nos capacités cognitives, mais je n’ai pas d’opinion arrêtée à ce sujet. Le débat inné/acquis sur la cognition a tourné en rond pendant très longtemps, car il se limitait à de sempiternels traitements statistiques des différences de quotient intellectuel entre « races » et entre genres. Nos connaissances sur les bases génétiques de la cognition vont entrer dans une nouvelle ère grâce aux progrès acquis sur la génomique des gènes cérébraux. Mais cette recherche est encore balbutiante.

« Pour faire de la science, il faut laisser tout préjugé, et donc, toute idéologie, au vestiaire. L’ennemi numéro un d’une approche scientifique saine est l’émotion. Si on “adore” une hypothèse, ou au contraire, si elle nous scandalise au point qu’on s’en époumone d’indignation, c’est mal parti pour la tester avec le recul nécessaire. »

L’innéisme domine pour des cas-limites, qui concernent en général des caractères commandés par un seul gène. Telle mutation défectueuse sur tel gène, et l’enfant est atteint à coup sûr de phénylcétonurie, une maladie métabolique causant une arriération mentale sévère, à moins qu’un régime alimentaire adéquat soit institué très tôt. Mais la plupart des traits qui constituent notre phénotype, par exemple la taille, résultent d’une interaction constante entre l’environnement et de nombreux gènes dont l’effet individuel est faible (caractères multigéniques). Par exemple, il existe une prédisposition génétique multigénique au diabète de type II. Mais les effets dévastateurs de cette maladie peuvent être combattus assez efficacement en surveillant soigneusement sa glycémie, en observant une diététique appropriée et en évitant de se retrouver en surpoids. La communauté d’ascendance africaine aux États-Unis est affectée avec une plus grande fréquence que les Américains d’origine européenne par telles pathologies, dont certaines peuvent avoir une composante génétique. Mais il faut avant tout explorer l’impact sanitaire des conditions de vie de cette communauté qui, en dépit des efforts méritoires de l’« affirmative action », reste très défavorisée. Hygiène de vie, éducation, nutrition, accès aux soins peuvent avoir des effets drastiques sur la santé.
Pour parler du débat mentionné dans votre question, si l’on admet que l’intelligence a une certaine composante héréditaire (qui serait multigénique selon certaines études récentes), il est évident, du moins à mes yeux, que l’éducation et l’environnement jouent un rôle considérable dans le développement de l’intellect.

Pour quelles raisons l’embryologie est-elle absente de vos réflexions? Ne forme-t-elle pas un modèle d’anthropogénèse en accéléré : neuf mois au lieu de millions d’années ?

C’est une bonne remarque. Je n’ai pas de connaissances très pointues en embryologie. Je vous remercie de l’idée. Je la garde sous le coude pour d’éventuelles rééditions du livre.

La notion d’ADN est devenue une métaphore courante. Entre la vision scientifiquement outillée et la version vulgarisée tombée dans le domaine public, que révèle cet usage abusif ?

Si la vulgarisation est bonne, il n’y a pas de danger d’usage abusif. Nous avons dans nos grands médias comme Le Monde, Le Figaro, Le Point, d’excellents chroniqueurs scientifiques qui savent se mettre à la portée d’un public très large en gardant une bonne rigueur scientifique. Ils sont une source importante d’information pour moi. L’usage abusif se trouverait plutôt dans les réseaux sociaux, au sein desquels il n’existe aucun filtre. Il est difficile de lutter contre le complotisme et l’absence de rigueur dont sont pétris ces médias.

Souscrivez-vous à la notion d’« idéologies scientifiques » ?

Je la combats. « Idéologie scientifique » est un oxymore monumental. Le concept que je défends depuis longtemps est celui de « sanctuarisation réciproque de la science, d’une part, de l’éthique et de la politique (et donc de l’idéologie) d’autre part »13Michel Tibayrenc, 2019, « Science and politics should be mutually sanctuarized », American Journal of Human Genetics 104:774-75.. Pour faire de la science, il faut laisser tout préjugé, et donc, toute idéologie, au vestiaire. L’ennemi numéro un d’une approche scientifique saine est l’émotion. Si on « adore » une hypothèse, ou au contraire, si elle nous scandalise au point qu’on s’en époumone d’indignation, c’est mal parti pour la tester avec le recul nécessaire. Rappelons que bien des hypothèses scientifiques qui ont maintenant pignon sur rue sont apparues scandaleuses aux yeux de la morale de leur époque, ce qui a conduit à les considérer comme a priori erronées : l’héliocentrisme, la théorie de l’évolution, la haute antiquité de l’homme, la sexualité infantile, sont de tels exemples.

« Ce n’est pas à la science de nous dicter la marche d’une société, même si elle peut fournir des données utiles. Le sociétal, c’est le domaine de l’éthique et de la politique. Une société scientiste est pour moi un cauchemar absolu. »

Donc, toute idéologie est à bannir, ou du moins, à tenir à distance, en sciences. Idéal difficile à atteindre. Sur la question de l’existence ou de la non-existence des « races » humaines, il est remarquable que la vision scientifique du monde « occidental » d’une part (États-Unis en tête), de l’Europe de l’Est, de la Russie et de l’Asie d’autre part, est complètement différente. Cela démontre toute la part de subjectivité qui imprègne une science pourtant considérée comme « dure », la biologie. Le concept d’une science détachée de tout préjugé idéologique (André Lwoff, Jeux et Combats, Paris, Fayard, 1981) apparaît passablement naïf.
Sanctuarisation en miroir, ce n’est pas à la science de nous dicter la marche d’une société, même si elle peut fournir des données utiles. Le sociétal, c’est le domaine de l’éthique et de la politique. Une société scientiste est pour moi un cauchemar absolu. Quels que soient les résultats de la science, par essence fluctuants, provisoires et sujets à des interprétations variables, telle société a le droit et le devoir de promouvoir les valeurs auxquelles elle est attachée.

LIRE AUSSI > Les dérives racialistes du néo-antiracisme

Notre humaine Nature, Michel Tibayrenc et Francisco Alaya, Paris, Éditions Rue de Seine, 2022, 350 p., 19,90  €.
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