Jean-Pierre Sakoun, président de l’association Unité laïque
Tribune parue dans Le DDV n° 686, printemps 2022
La figure de Missak Manouchian est porteuse de plusieurs « histoires de France ». Celle du génocide arménien de 1915 d’abord. Resté orphelin, il fut recueilli au Liban sous mandat français dans l’immédiat après-guerre, puis en France même où il arriva en 1925 à l’âge de dix-neuf ans. L’amour de la France et de la République ensuite. La langue française et l’idéal de la Grande Révolution devinrent très vite sa patrie, lui qui, ouvrier, fréquenta la Sorbonne en auditeur libre et ne cessa, dans ses écrits, de chanter la liberté, l’égalité, la fraternité. Le combat antifasciste enfin. Dès le début des années 1930, il s’engagea dans les mouvements antifascistes et, comme beaucoup de communistes français de l’époque, crut reconnaître dans la révolution de 1917 la fille de la Révolution française.
Un résistant de pur métal
Dans l’entrelacs de ces trois parcours, Missak devient un « résistant » de pur métal. Il s’engage dans la clandestinité et l’action armée dès 1941 après s’être engagé volontairement dans l’armée française en 1939, bien qu’apatride, et ses faits d’arme, son sérieux, sa rigueur lui valent d’être nommé en 1943 commissaire militaire des FTP-MOI (Francs-tireurs et partisans-Main-d’œuvre immigrée) de Paris et de la région parisienne. La France pour laquelle ces résistants combattaient, Missak Manouchian le premier, c’était la France des droits de l’homme et du citoyen. Faire entrer Missak Manouchian au Panthéon serait la meilleure façon de rendre hommage aux combattants étrangers de l’intérieur, aux FTP-MOI, ces FTP dont « l’armée des ombres » fut la plus nombreuse, la plus active, la plus décidée et effaça par le sacrifice de tant de ses membres les hésitations de certains de ses chefs en 1940. Les troupes, elles, brûlaient de se battre.
Missak représentera au Panthéon ses compagnons de l’Affiche rouge, le peuple de ces étrangers qui firent la France et dont la France fit des Français.
Lorsqu’en 2015 entrèrent au Panthéon Geneviève de Gaulle-Anthonioz, Pierre Brossolette, Germaine Tillion et Jean Zay, nombreux furent ceux qui ressentirent cruellement l’absence des FTP dans cette illustration de l’unité nationale et dans cette reconnaissance par la République de tous ses enfants héroïques. D’autant que la décision du président Hollande fut annoncée au Mont-Valérien le 21 février 2014, jour anniversaire de l’exécution du groupe Manouchian au même endroit, le 21 février 1944. Au sommet de la montagne Sainte-Geneviève, tout est symbole. Et le symbole de cette résistance-là, c’est Missak Manouchian, l’une des silhouettes les plus nettes du « long cortège d’ombres » célébré par André Malraux, que l’occupant nazi fit héros en voulant le frapper d’infamie, lui et ses compagnons, sur l’Affiche rouge. Émancipé grâce à la République française, il sut sans peur, sans retenue, se battre pour elle, en son nom, jusqu’au sacrifice.
Le peuple des Français de cœur
Nous sommes dans un moment de l’Histoire où vont progressivement s’épuiser, faute de combattants, les hommages nationaux aux héros de la Seconde Guerre mondiale. Il ne faut pas que soit oublié l’un des résistants les plus emblématiques et les plus unanimement respectés, qui symbolise l’engagement des Français de cœur dans le combat contre le nazisme et pour la République, au nom de l’écho de la France dans le monde. Oui, la place de Missak, « Français de préférence », est au Panthéon. Il y représentera ses compagnons de l’Affiche rouge, le peuple de ces étrangers qui firent la France et dont la France fit des Français, le vaste peuple des ouvriers, typographes, cheminots… et poètes qui nous honorent.
Depuis plusieurs mois, ce qui n’était qu’une idée est désormais une réalité. L’association Unité laïque et Nicolas Daragon, maire de Valence, l’une des « petites Arménie » de France, se sont alliés pour promouvoir l’entrée de Missak Manouchian au Panthéon au nom de la République universelle, de la liberté, de l’égalité, de la fraternité, de la laïcité et de la reconnaissance nécessaire de celui qui représente ces « vingt et trois qui criaient la France en s’abattant ». Nous avons eu l’honneur et le plaisir de voir Mario Stasi, président de la Licra, Claude Pierre-Bloch, vice-président, Abraham Bengio, président de la Commission Culture, Philippe Foussier, rejoindre Pascal Ory, Ernest Pignon-Ernest, Katy Guiragossian, petite-nièce de Missak et Mélinée, mais aussi Guy Konopnicki, Alain Minc, Henri Raczimow, tous fils de FTP-MOI, Pierre Ouzoulias, sénateur, petit-fils d’Albert Ouzoulias, dit « Colonel André », chef de Missak Manouchian. Toutes ces personnalités sont l’emblème de l’unité nationale qui se fait autour de cette figure.