Marie-Aleth Grard, présidente d’ATD Quart Monde
Tribune parue dans Le DDV n° 686, printemps 2022
Le droit de vivre en sécurité est-il une illusion pour les plus pauvres ? À lire le récent rapport du GIEC, à écouter les incertitudes qui tenaillent plus de 9,3 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté, à observer la pauvrophobie qui gagne parfois les esprits, on peut légitimement s’en inquiéter… sans pour autant s’y résigner.
La sécurité est devenue un mot valise qui a pris une place prépondérante dans notre langage et dans nos débats de société, à tel point que nous avons du mal à en réinterroger le sens et notamment celui qu’il a pour les citoyens les plus pauvres de notre pays. Dans les débats médiatiques et dans la bouche de nombreux responsables politiques, la sécurité est avant tout une obsession qui stigmatise et qui recherche des boucs émissaires commodes.
À l’inverse, pour les citoyens les plus exclus, qui vivent la violence de la misère au quotidien, le droit de vivre en sécurité passe par le respect des droits fondamentaux : logement, emploi, moyens d’existence dignes, éducation, santé, autant de sécurités de base qui permettent de se construire un avenir.
Des solidarités locales à compléter
Oui, l’avenir est sombre, et comme beaucoup d’autres, nous sommes inquiets face aux discours stigmatisants, racistes, xénophobes et pauvrophobes qui ouvrent la porte à toujours plus de violations des droits humains. Dans la logique de ces discours, il y aurait d’un côté les bons pauvres qui cherchent à s’en sortir et les mauvais pauvres qui ne font aucun effort. Ces déchirements et ces divisions n’ont jamais rien apporté de bon ni aux plus pauvres ni à la société dans son ensemble. L’éradication de la misère demande, autant qu’elle construit, une société apaisée.
Un tableau noir n’empêche pas d’y mettre de la couleur. Loin de nous résigner, nous refusons la fatalité de la misère tout comme nous refusons de maintenir les plus pauvres dans l’insécurité permanente. Solidement enracinés avec eux, nous sommes témoins de situations qui évoluent positivement, de familles qui se libèrent de la pauvreté, d’enfants qui ont des vies meilleures que leurs parents et de regards qui changent.
Le droit de vivre en sécurité peut être une réalité pour les plus pauvres si et seulement si nous entendons le sens qu’ils lui donnent.
Sur le terrain, les efforts des premiers concernés et de ceux qui les soutiennent sont considérables et doivent être reconnus. L’entraide est une réalité palpable qui montre que des solutions concrètes et durables peuvent être trouvées. Cependant, ces solidarités locales doivent être complétées par une solidarité nationale à la hauteur du défi.
Un modèle social à consolider
Afin que les politiques nationales visent juste, la participation des personnes en situation de pauvreté doit être au rendez-vous. Notre expérience sur l’instauration du Revenu de solidarité active (RSA), de la Couverture maladie universelle (CMU), du Droit au logement opposable (DALO) ou encore de l’expérimentation Territoire zéro chômeur de longue durée (TZCLD) montre qu’une participation sérieuse et rigoureuse permet de créer des sécurités solides pour l’ensemble de la société.
Ce modèle social français est efficace puisqu’il permet de faire reculer la pauvreté. En effet, sans tous ces filets de la sécurité, le taux de pauvreté s’envolerait à 22 % contre 14 % avec la protection sociale existante. Il faut pouvoir continuer sur cette voie et ne pas céder au détricotage, sous couvert comptable, des efforts de tout un pays pour en finir avec la pauvreté.
Les propositions de la société civile, dont les nôtres, sont nombreuses et tracent un chemin d’avenir désirable pour notre société : construire davantage de logements sociaux, assurer une sécurité de revenus pour les jeunes dès 18 ans, créer massivement des emplois dans les champs de la transition écologique et sociale ou encore permettre à chacun l’accès à une alimentation saine, durable et de qualité. Le droit de vivre en sécurité peut être une réalité pour les plus pauvres si et seulement si nous entendons le sens qu’ils lui donnent. Reconstruire des sécurités pour celles et ceux qui en sont privés constituent notre projet de société.
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