Ornella Guyet, journaliste
#AllEyesOnDeck : c’est l’inévitable slogan qui enflamme les réseaux sociaux antisionistes internationaux pour accompagner le périple vers Gaza de l’eurodéputée française Rima Hassan et de l’activiste climatique Greta Thunberg, à bord du Madleen, un yacht de croisière, dont le sort émeut jusqu’à Francesca Albanese, rapporteuse spéciale de l’ONU. Suivons ce conseil et scrutons le pont et les coursives de cette « Flotille de la liberté », dont le seul but était de réussir une opération de communication, en l’absence de quantités d’aide substantielles à destination de la population gazaouie. À bord, les profils douteux ne manquent pas. Les actions douteuses non plus : le Madleen a ainsi livré quatre réfugiés sud-soudanais recueillis à bord suite à un appel de détresse à Frontex, une « milice » qui pourtant « viole les droits fondamentaux » selon Manon Aubry, eurodéputée LFI.
Amour du Hezbollah, haine d’Israël et des Juifs
C’est sans doute l’activiste brésilien Thiago Ávila, 19 ans au service de la cause palestinienne à son actif, qui attire le plus l’attention au sein de l’équipage. Derrière ses faux airs de guitariste hippie, l’homme assure la propagande du régime Iranien et du Hezbollah. Il a d’ailleurs fait partie des invités internationaux aux funérailles d’Hassan Nasrallah, qu’il a qualifié de « martyr et un exemple vivant de sacrifice », ajoutant : « Ce moment ne doit pas être perçu comme un simple événement, mais comme un message fort pour les peuples du monde entier. Nous connaissons l’histoire des résistants à l’impérialisme. Ceux qui ont réussi à vaincre la force la plus atroce de leur temps, comme Nasrallah, sont rares. Le Liban est fort, résistant, et il ne cédera pas face au sionisme ». Lors des funérailles, il a même filmé les avions de “l’entité sioniste” qui survolaient l’événement.
Il a réitéré son admiration pour le leader terroriste chiite quelques semaines plus tard, lors du 4e Coloquia Patria, organisé par le régime castriste à La Havane, où il est intervenu à l’invitation de l’espace de la version hispanophone d’Al Mayadeen, une chaîne libanaise proche du Hezbollah. Interviewé, il y a décrit « le sionisme » comme étant le « grand méchant ». En février 2022, c’est pour défendre les actions de la Russie en Ukraine et condamner l’aide occidentale à cette dernière qu’il était sur le pont, dès les premiers jours du conflit. Au cours du périple du Madleen, il a accordé des interviews à Press TV, la chaîne du régime iranien, et à Al-Manar, celle du Hezbollah. Depuis que ses accointances avec le Hezbollah ont été mises en avant par des militants pro-israéliens, il a supprimé toute référence à Hassan Nasrallah de son compte X.
C’est aussi sur Al Mayadeen que Jean-Luc Mélenchon depuis Paris et Rima Hassan depuis le Madleen ont assuré un duplex. Dans le magazine L’Express, l’écrivain franco-syrien Omar Youssef Souleimane relève l’ironie :« entre 2012 et 2016, c’est bien le Hezbollah, en collaboration avec les Gardiens de la Révolution islamique d’Iran, qui a contribué à la destruction d’Alep. Ils ont participé directement au bombardement des quartiers Est de la ville, ainsi qu’à la pression militaire et sécuritaire exercée sur les habitants du camp de Neirab où est née Rima Hassan, afin de soutenir le régime dictatorial de Bachar el-Assad. »
Également de la partie, l’activiste berlinoise Yasemin Acar, qui a crié « Vous n’êtes pas des êtres humains » à des manifestants contre l’antisémitisme, remettant aussi en cause les violences sexuelles subies par les femmes israéliennes le 7-Octobre. Le journal allemand de gauche Jungle World analyse :
« Une courte vidéo qui a circulé après la dernière attaque de missiles de l’Iran sur Israël et qui montre Acar et une autre femme dans un appartement en train de chanter et de danser bras dessus bras dessous pour saluer l’attaque, accompagnée du cri « Fuck Israel ! » et suivie d’un « Israel is a bitch ! » chanté, illustre à quel point les fantasmes d’extermination et de viol peuvent s’entremêler. L’association est évidente : la « salope occidentale » qu’est Israël, elle est « baisée » par les missiles de l’Iran. »
Les deux journalistes « embedded », valent, eux aussi, le détour. Omar Faiad est un citoyen franco-égyptien proche des Frères musulmans et travaillant pour Al-Jazeera. En 2017, il affirmait : « Pourquoi ne pas assiéger tous ensemble les sionistes, comme un seul homme, afin que leur sang se disperse parmi les assiégeants ? » Cette même année, il appelait à sanctionner toute personne arabe collaborant avec Israël, toujours selon O. Y. Souleimane. Quant au Français Yanis Mhamdi, il a interviewé il y a un mois Rima Hassan pour le média en ligne Blast, la laissant affirmer sans contradiction que la France était « complice du génocide en cours et offre une impunité totale à Israël ». Les figures les moins connues comprennent Reva Viard, un ex-activiste de la Zad du chantier de l’autoroute A69, dans le cadre de laquelle il s’était perché pendant un mois dans un arbre, ou l’Espagnol Sergio Toribio, un vétéran de Sea Shepherd.
Et parmi les soutiens restés à terre, qu’en est-il ? De nationalité roumaine, actrice ratée et youtubeuse, Nicole Jenes mobilise ses charmes. Derrière l’ « humour » sexy, les propos sont violents : dénonciation des « chosen ones » et de leur « chosen accent » (« éternuer est antisémite » blague-t-elle en référence aux sons gutturaux présents en hébreu), assimilation des Israéliens survivants de la Shoah à des nazis, négation permanente de l’existence de l’État d’Israël et affirmation du fait que les Juifs n’ont aucun avenir en terre de Palestine… Le tout avec un fond raciste plus large, via des imitations d’accents, rrom en particulier. Elle est obsédée par le fait que les Juifs puissent se reproduire : « Vous devriez retourner en 1948 pour fournir un préservatif au père de Netanyahou », clame-t-elle. Ou encore : « « Tout le monde déteste les Juifs », c’est ma pièce de théâtre favorite ! » À longueur de sketchs, ce sont bien les « Juifs » qu’elle vise, pas les « Israéliens ». Quant au rappeur américain Macklemore, qui a diffusé en direct un appel de Greta Thunberg lors d’un de ses concerts, il s’était fait remarquer en 2014 en montant sur scène déguisé en « juif au nez crochu ».
Alliance rouge-verte-brune
Aux commandes de ce cirque à selfies, Zaher Birawi, figure de la branche politique du Hamas à Londres, chef du Comité international pour le siège de Gaza et membre fondateur de la Freedom Flotilla Coalition, communique autour de la « formation à la résistance non violente » reçue à bord du navire par les participants dans le média arabophone britannique Al Quds Al Arabi. Sur Facebook, il « demande à Allah de [les] protéger », tandis que Rima récite les prières d’Aïd à bord du bateau, quand elle ne retweete pas le pèlerinage catholique intégriste de Chartres, qui lui aussi soutient la Palestine (ou plutôt : les seuls chrétiens palestiniens), ou ne se compare pas à Larbi Ben M’hidi, héros de la guerre d’indépendance algérienne.
Un document du Centre Meir Amit d’information sur les renseignements et le terrorisme, qui dépend des services de renseignement israéliens, pointait déjà en 2017 la vision qu’avait Birawi des objectifs de la Flottille comme étant propagandistes bien plus qu’humanitaires. En 2010, il avait servi de porte-parole à la flottille comprenant le Mavi Marmara, dont l’aventure s’est clôturée par la mort de neuf militants turcs sous les balles israéliennes. Le bateau était alors affrété par l’IHH, une ONG turque proche de l’AKP et soupçonnée de liens avec des organsations jihadistes, qui l’avait acheté pour une modique somme à hauteur de 800 000 $ et est toujours membre de la Freedom Flotilla Coalition.À la même époque, il collaborait à l’expédition de convois pour la bande de Gaza organisés par l’ONG britannique Viva Palestina. Birawi pourrait avoir servi d’homme de liaison entre cette organisation et le Hamas. Viva Palestina était alors présidée par le député britannique Georges Galloway, marqué à gauche mais connu pour son antisémitisme. Depuis, Birawi ne s’est jamais beaucoup éloigné des services de communication de la Flotille. Il en a été plusieurs fois l’un des porte-paroles au Royaume-Uni, par exemple en 2014 et en 2018, et est encore mentionné comme porte-parole sur le site de la Coalitionen charge du projet.
Un autre des fondateurs a tiré les conséquences de son propre antisémitisme et franchi le Rubicon. Il y a presque vingt ans, le ténor italien Joe Fallisi s’affichait anarchiste et écrivait une chanson en soutien à la Flotille, qu’on peut retrouver sur la page Facebook de l’IHH. Depuis, il a viré néonazi, interviewant même le négationniste français Robert Faurisson en 2017 à Vichy , après avoir chanté des « chants de guerre parisiens » lors de son 88e anniversaire. Il a été arrêté l’année dernière avec un groupe d’extrémistes, Werewolf, qui préparait un attentat contre Giorgia Meloni, vue comme « une fasciste qui persécute les fascistes », une « traîtresse » et une « concubine de Sion ». Sur Telegram, ces terroristes étaient en lien avec la branche afghane de Daech. L’homme parle d’Israël comme d’une « internationale shylockienne », un adjectif qu’il employait déjà en 2008. Dès cette époque, il voyait l’État hébreu comme une « entité maléfique ». De là à dire que le ver était dans le fruit…
Hormis les soutiens habituels à ce genre d’initiative et outre les stars anglo-saxonnes sur le retour (l’acteur irlandais Liam Cunningham, la chanteuse Cat Power, l’indispensable Roger Waters…) qui ont apporté le leur dans le cadre de l’organisation de cette action, les marins d’eau douce du Madleen ont reçu en France celui de Ségolène Royal, qui est devenue la nouvelle coqueluche inattendue de la gauche pro-palestinienne, mais aussi de deux cents élus européens dont près de la moitié appartiennent à LFI ou au groupe NFP. Le dessinateur antisémite brésilien Carlos Latuff, qui a remporté en 2006 le Concours international de caricatures sur l’Holocauste à Téhéran s’est fendu de son inévitable gribouillis comparant les soldats de Tsahal aux Waffen-SS, qui a moins été relayé toutefois que le version « soft » assimilant la marine israélienne à un requin. Moins remarquée de ce côté-ci du Rhin, mais non moins parlante, relevons enfin l’admiration exprimée vis-à-vis de Greta Thunberg par Jürgen Elsässer, néo-nazi allemand qui la considérait jusque-là comme une de ses « pires ennemies » en raison de ses prises de position écologistes. . Et au milieu de tout ceci, Amnesty International… On a les supporters et les alliés qu’on mérite !
Finalement, cette folle équipée se termine avec l’arrestation – pardon, le « kidnapping » – des activistes par l’armée israélienne, activistes qui n’ont pas « boycotté » les bouteilles d’eau et les sandwichs offerts par les soldats. L’État hébreu a prévu de leur montrer la vidéo des horreurs du 7-Octobre avant de les expulser. Et le peu d’aide humanitaire que le bateau transportait va être transféré à Gaza via des canaux réguliers.