Alexandre Bande, historien, professeur en classes préparatoires littéraires au lycée Janson-de-Sailly*
« Oui, la folie criminelle de l’occupant a été secondée par des Français, secondée par l’État français. »
Il y a trente ans, le 16 juillet 1995, le Président de la République, Jacques Chirac, rompant avec plusieurs décennies de silence, reconnaissait officiellement le rôle de l’État français, dans le processus d’arrestation, d’internement et de déportation des Juifs de France. Évoquant la rafle dite du « Vél d’Hiv » qui eut lieu les 16 et 17 juillet 1942 à Paris et dans sa périphérie, Jacques Chirac affirmait : « La France, ce jour-là, accomplissait l’irréparable… ». Véritable inflexion dans la politique mémorielle de la France sur les années Pétain et sur la Shoah, ce discours reste aujourd’hui une référence.
Instaurée sous le second mandat de François Mitterrand en février 1993, la « journée nationale commémorative des persécutions racistes et antisémites commises sous l’autorité de fait dite « gouvernement de l’État français » » (1940-1944) est devenue à partir de 2000, la « Journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l’État français et d’hommage aux Justes de France ». Les commémorations et les cérémonies qui se déroulent à cette occasion permettent d’engager une réflexion collective sur ce que furent les évènements de l’été 1942, le contexte dans lequel ils se sont déroulés et ce qu’ils révèlent de la collaboration de l’État français avec l’occupant nazi. Ces commémorations sont également une occasion de mettre à l’honneur les derniers rescapés de cette rafle, qui n’étaient que de jeunes enfants au moment des évènement ainsi que les associations de descendants de déportés (les Fils et filles des déportés juifs de France par exemple).
Satisfaire aux exigences allemandes
Entre le 16 et le 17 juillet 1942, eut lieu à Paris et dans sa périphérie, la plus grande rafle visant les juifs en France. Organisée par la Préfecture de police à l’initiative des autorités nazies, cette rafle mobilisa plus de 4.500 policiers, des dizaines d’autobus et toucha 12.884 personnes, juifs allemands, autrichiens, polonais, tchécoslovaques, russes et apatrides (le nombre total des arrestations qui se poursuivent jusqu’au 20 juillet, se monte à 13.152 personnes). Internés au Vélodrome d’Hiver (XVe arrondissement) puis dans le camps du Loiret (Pithiviers ou Beaune-la-Rolande) lorsqu’il s’agissait de familles ou à Drancy pour les personnes seules et les couples sans enfants, les victimes de la rafle furent inexorablement déportées vers Auschwitz-Birkenau où elles furent, pour la plupart, assassinées dans le cadre du processus d’extermination des Juifs d’Europe systématisé par les dirigeants nazis après l’organisation de la « Solution Finale » lors de la Conférence de Wannsee du 20 janvier 1942. Ces sombres journées s’inscrivent dans un contexte très particulier, mis en valeur par les récents travaux de l’historien Laurent Joly, à savoir la pression exercée par les autorités nazies sur le gouvernement de Vichy sommé de livrer 40.000 juifs. Afin de satisfaire aux exigences allemandes, le Président du Conseil Pierre Laval, par l’intermédiaire de René Bouquet, alors secrétaire d’État à la Police, a négocié avec Carl Oberg, « chef supérieur de la SS et de la Police », les conditions de mise en œuvre de l’arrestation, du transfert et de la déportation des juifs de France (accord Oberg-Bousquet du 2 juillet 1942). Sans connaitre les détails de l’ensemble du processus et de son issue fatale, les autorités collaborationnistes françaises disposent d’informations alarmantes, annonciatrices du sort terrible des juifs déportés à l’est de l’Europe.
Pour la première fois en France, femmes et enfants juifs sont concernés par la déportation. Or si les parents sont considérés par les autorités comme étrangers ou apatrides, la plupart des enfants, comme le souligne Laurent Joly, sont Français, nés et scolarisés dans la capitale. Si les résultats immédiats de cette rafle sont en-deçà des attentes allemandes, d’autres rafles durant l’été 1942, dont celle du 26 août réalisée en zone non occupée par les autorités de Vichy, auront pour effet de permettre l’arrestation et la déportation, au total, de plus de 36.000 personnes.
Contre les récupérations
À la croisée de la politique antisémite et xénophobe engagée dès l’été 1940 par Pétain et son gouvernement et des objectifs génocidaires nazis, les journées du 16 et 17 juillet 1942 survenues il y a 83 ans, sont une nouvelle fois commémorées en 2025. Cette commémoration, en cette période où flambent les propos et les actes antisémites, doit favoriser la réflexion non seulement sur les effets paroxystiques d’une politique d’exclusion et de haine de l’autre poussée à l’extrême, mais également sur les rouages et les principes de ce que sont les processus génocidaires. Loin des récupérations de ceux qui osent prétendre que Pétain a sauvé les juifs Français et de ceux qui participent aux commémorations du martyre des juifs d’Europe et qui, dans le même temps, hurlent depuis l’automne 2023 au « génocide » à Gaza tout en flirtant, sous couvert d’antisionisme, avec l’antisémitisme, il est nécessaire d’instruire, d’enseigner et de lutter contre toutes les formes d’exclusion afin de ne jamais oublier que « cela fut ».
* Derniers ouvrages parus : Auschwitz 1945 (Passés composés, 2025), avec Pierre-Jérôme et Rudy Reichstadt (dir.), Histoire politique de l’antisémitisme en France (Robert Laffont, 2024)