Emmanuel Debono, rédacteur en chef
La presse a insisté sur la présence du drapeau rouge de Che Guevara dans la cellule de Georges Ibrahim Abdallah, ex- chef de la Fraction armée révolutionnaire libanaise (FARL), à la prison de Lannemezan (Hautes-Pyrénées) qu’il quittera le 25 juillet prochain pour être expulsé vers le Liban. Che Guevara, héros de la révolution cubaine, pourfendeur de l’exploitation du tiers monde et de l’impérialisme américain… L’image, revigorante et intergénérationnelle, n’aura sans doute pas échappé à ceux, jeunes et moins jeunes, qui rêvent de révolution et puisent allègrement dans le vivier des mouvements de libération nationale, nonobstant l’idéologie mortifère qui peuvent les animer.
Un terrorisme d’extrême gauche
Le terrorisme d’extrême gauche des FARL a croisé la route du Front populaire de libération de la Palestine, du groupe français Action directe, des Brigades rouges italiennes ou encore la Fraction armée rouge allemande. La volonté des FARL de « frapper l’ennemi, partout où il se trouve » a caractérisé ces actions terroristes définies par leurs auteurs comme des « actes de résistance armée ». Les FARL ont ainsi revendiqué l’assassinat d’un diplomate américain, le 18 janvier 1982, et d’un diplomate israélien, le 3 avril 1982. La tentative d’assassiner à la voiture piégée un diplomate israélien, le 17 septembre 1982, devant le lycée Carnot à Paris (XVIIe arrondissement), alors que se déroulait au Liban l’opération militaire « Paix en Galilée », menée par Israël pour tenter d’éliminer les structures de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP), s’est soldée par 51 blessés, parmi lesquels des lycéens. D’autres attentats sanglants ont pris place sur le territoire français avant que Georges Ibrahim Abdallah ne soit arrêté, à Lyon, le 24 octobre 1984, puis jugé et condamné en 1987 à la réclusion à perpétuité à l’issue d’une procédure, parfois contestable, pour complicité d’assassinat. L’homme a toujours nié être l’auteur de ces attentats, mais il les a toujours revendiqués et justifiés.
Ni regrets, ni remords
La figure de ce terroriste, révolutionnaire, antisioniste et anti-impérialiste, a fait se pâmer des années durant la gauche communiste et radicale. Cette gauche, éprise d’un romantisme insurrectionnel, qui fantasme la résistance armée lorsqu’elle revendique l’émancipation des peuples, l’antifascisme et les luttes de libération nationales, a fait de Georges Ibrahim Abdallah, l’archétype du « prisonnier politique » : un homme persécuté pour ses convictions, en proie à l’acharnement d’un État, la France, qui nie le progressisme de son engagement et s’aligne sur les intérêts de « l’entité sioniste » et de l’impérialisme américain.
Les tribunes, les comités de soutien et les slogans, ont pullulé, depuis 1984, pour faire entendre ce qu’aurait de légitime la violence, quand elle s’exerce, partout dans le monde, au nom des peuples, et en premier lieu à l’encontre de l’État d’Israël.
Georges Ibrahim Abdallah n’a jamais exprimé de regrets quant à l’action du FARL. Ses paroles, affirme le Collectif pour la libération de Georges Ibrahim Abdallah (CLGIA), sont « celles d’un révolutionnaire qui continue le combat quand il nous exhorte du fond de sa cellule à ne pas baisser les bras ». Les paroles en question ? « Faisons de sorte, camarades, que les défaites soient dans le camp des agresseurs impérialistes ; c’est le plus court chemin, voire le moins coûteux, pour éviter les catastrophes des désagrégations meurtrières qu’auront à supporter les masses populaires dans le cas contraire. »
Ni regrets, ni remords, assurément, et un appel à poursuivre la lutte en empruntant pour cela « le plus court chemin, voire le moins coûteux ». Libre à chacun d’imaginer son tracé mais les discours et mobilisations qui accompagnent cet engagement, et qui glorifient notamment l’intifada, laissent peu d’illusions sur la confusion malsaine et persistante entre un terrorisme qui n’épargne pas les civils et la résistance à l’oppression.
Le mépris pour les victimes du terrorisme
C’est donc dans la liesse que la gauche radicale et certains de ses alliés auront salué la libération annoncée de Georges Ibrahim Abdallah. Secrétaire nationale des Écologistes, Marine Tondelier s’est ostensiblement réjoui sur X le 17 juillet : « Elles sont rares, mais il existe encore des bonnes nouvelles : la libération du militant Georges Ibrahim Abdallah, après plus de 40 ans de détention, en est une. Bravo à toutes celles et ceux qui ont mené sans relâche le combat pour sa libération. » Le secrétaire national du Parti communiste Fabien Roussel s’est étranglé de joie sur le même réseau : « Georges Ibrahim Abdallah enfin libre ! 40 ans dans les couloirs de l’enfer et enfin la LIBERTÉ fruit d’un combat acharné. Enfin ! » « L’immense soulagement » ressenti par Mathilde Panot, présidente du groupe LFI à l’Assemblée nationale, aura été celui du ban et de l’arrière-ban de cette gauche qui n’aura, à aucun moment, hésité sur le seuil de l’ignominie, piétinant cyniquement la mémoire des victimes de ces attentats. Pour la députée LFI de Saint-Étienne Andrée Taurinya, « à 74 ans, [Georges Ibrahim Abdallah] est un exemple pour la jeunesse anticoloniale et anti-impérialiste ! »
Baignant dans l’idéologie, cultivant l’irresponsabilité politique et surfant sur la confusion ambiante, les uns et les autres seront parvenus à convaincre certains médias complaisants que leur figure iconique était un nouveau Mandela. Ainsi, le journal 20 Minutes n’a pas hésité à annoncer que « le plus vieux prisonnier politique de France [allait] retrouver la liberté » – comme les prisons françaises étaient peuplées de « prisonniers politiques ».
Que Georges Ibrahim Abdallah ait été éligible à la libération depuis 1999 ne change rien à l’affaire. La violence terroriste qu’il a utilisé en France et qui justifiait qu’une bombe explose aux abords d’un lycée, ne peut s’effacer devant l’argument de la durée de la peine. Que des élus et des responsables politiques fassent fi de cette réalité et ne choisissent pas, a minima, en pareilles circonstances, la réserve critique sinon le silence, en dit long sur la perte des repères moraux et le délitement, chez certains, du sens de l’État.
Israël, point de convergence des luttes révolutionnaires
C’est ainsi qu’une partie de l’extrême gauche et certains de ses alliés continuent de la même façon à sublimer les actes commis par le Hamas et ses alliés, ainsi que la guerre d’éradication menée contre Israël, dans la vision irénique d’une guerre juste contre l’« oppresseur sioniste ».
Qu’importe la Charte du Hamas, nourrie d’un complotisme antisémite destructeur, qu’importe la terreur imposée par les fondamentalistes religieux sur les Gazaouis et la transformation du petit territoire palestinien en base armée, construite avec le détournement de l’aide internationale – et notamment européenne. Qu’importe la géopolitique dans laquelle s’insère la guerre qui a suivi le 7-Octobre, le rôle néfaste de l’Iran et de ses proxys palestiniens, libanais et yéménites, ou le rôle trouble du Qatar… Israël est intrinsèquement coupable, par le principe même de son existence. Tout est donc permis contre lui, y compris, et surtout, l’aveuglement idéologique
La leçon de Mandela
Quand on aspire à peser sur la vie politique nationale et à endosser de hautes responsabilités, on gagnerait à réfléchir à l’expérience de Nelson Mandela, militant anti-apartheid, qui avait fait le choix de la lutte armée contre le régime d’apartheid mais qui avait su comprendre, alors qu’il était un prisonnier politique, les limites de cette lutte et la nécessité de parvenir à une solution politique. Dans son discours prononcé à l’hôtel de ville d’Oslo, le 10 octobre 1993, après avoir reçu le prix Nobel de la paix, le militant délivrait un message qui pourrait largement inspirer aujourd’hui : « Que chacune de nos aspirations prouve que Martin Luther King avait raison, quand il disait que l’humanité ne peut plus être tragiquement liée à la nuit sans étoiles, du racisme et de la guerre. Qu’il ne soit jamais dit par les générations futures que l’indifférence, le cynisme et l’égoïsme nous ont empêchés d’être à la hauteur des idéaux humanistes. »