Alain Barbanel, journaliste
Après avoir mis sens dessus dessous la droite et la gauche au cours de ses deux mandats, voici qu’Emmanuel Macron choisit, contre toute attente, y compris celle de son premier ministre tenu à l’écart du projet, de débarquer ses propres troupes, en prenant la décision de dissoudre l’Assemblée nationale au soir des résultats des élections européennes qui ont vu déferler la vague « ramasse-tout » du Rassemblement national. Cette décision équivaut, au choix, à un coup de poker menteur ou à une partie de roulette russe, avec cinq balles sur six dans le barillet. Elle montre dans tous les cas une réelle appétence pour le jeu à haut risque, la haute voltige sans parachute, censés témoigner d’une haute maîtrise de la chose politique dont lui seul connaitrait le secret…
Depuis sa dernière réélection présidentielle, on s’attendait à une déflagration, au mieux un remaniement significatif de son gouvernement qui aurait été une rupture avec le « en même temps », autrement dit un virage, à droite ou à gauche, renouant avec la tradition bipolarisée de la vie politique de ce pays. Au pire, une dissolution : choix pris aujourd’hui dans la précipitation, mais qui aurait pu être décidé après consultation a minima de sa propre majorité, afin de préparer le jour d’après en analysant les forces en présence qui lui auraient été favorables. Le tout dans un contexte d’une France peut-être un peu plus rassemblée, apaisée et revigorée après l’enthousiasme des Jeux olympiques.
Un moment incertain
Que nenni. Par défi, ou par dépit, Emmanuel Macron a choisi le pire moment. On se souvient de cette phrase de Patrick Devedjian qui n’avait pas sa langue dans sa poche, à propos de la dissolution de l’Assemblée décidée par Jacques Chirac le 21 avril 1997, conseillée à l’époque par Dominique de Villepin : « On était dans un appartement avec une fuite de gaz. Chirac a craqué une allumette pour y voir clair. ». Y voir clair. C’est bien l’idée qu’a retenue le président, la clarification est un mot qu’il a prononcé quarante fois pendant sa dernière conférence de presse du 12 juin, pour justifier sa décision. Mais sauf à être non voyant, la situation politique de la France depuis les dernières élections législatives de 2022, était plus que limpide, avec une majorité relative, laissant aucune marge de manœuvre au gouvernement pour mener à bien ses réformes, sauf à « dégainer » l’impopulaire 49-3 une douzaine de fois sous le gouvernement d’Élisabeth Borne, y compris pour faire passer la réforme des retraites qui a bloqué le pays pendant plusieurs mois.
Petit rappel, Michel Rocard sous la présidence de François Mitterrand, l’avait utilisé 28 fois entre 1988 et 1991. En réalité, il suffisait de regarder les images des séances des assemblées de l’Hémicycle, celles des questions d’actualité du mercredi étant particulièrement révélatrices, pour se rendre compte de l’état du pays, entre les vociférations, les prises de positions improbables et les noms d’oiseaux côté LFI, avec un RN poursuivant sa stratégie de normalisation et de dédiabolisation, jouant les premiers de la classe en embuscade tout en multipliant en tirs de rafale les amendements, et un LR, empêcheur de tourner en rond, profitant de la moindre occasion pour s’opposer aux réformes, tout en se sabordant lui-même.
Le bal des tartuffes
Alors quelles clarifications ? Ce qui se passe depuis la dissolution, à un rythme effréné et dans des délais improbables pour mener une campagne improvisée – du jamais vu sous la Cinquième République –, est digne, au choix, d’un mauvais Vaudeville ou d’un bal des tartuffes. Mais qui n’avait pas imaginé ce scénario de longue date annoncée ? Un Éric Ciotti faisant cavalier seul pour sauver son mandat en se ruant vers le bon côté du manche RN, une Marion Maréchal faisant le coup de force et quittant son mentor Zemmour pour briguer un maroquin, une gauche réduite aux acquêts, raccrochant les wagons au vaisseau amiral qu’est devenu LFI. Non décidément tout était écrit d’avance. Et Emmanuel Macron, plus que quiconque, le savait. Dans cette clarification qu’il appelle de ses vœux, le Président de la République, qui se dit « combatif » et non « défaitiste », croyant renouveler l’exploit de 2017 et de 2022 pour faire barrage aux extrêmes, y voit un moyen pour mettre les citoyens devant leurs responsabilités. « Moi ou la chienlit » aurait dit le Général de Gaulle. Remis au goût du jour, le contexte s’apparente plutôt à un « après moi le déluge ! ». Sauf que le Président, tout stratège qu’il est dans sa partie de judo, a sous-estimé la capacité de LFI à siphonner, jusqu’à François Hollande, une gauche démocratique et républicaine, dont on attendait plus de dignité, sous une bannière qui fait aussi office « d’attrape tout », habilement nommée « Le nouveau Front populaire », quitte à instrumentaliser de manière éhontée le grand Léon Blum.
Le règne du marketing et de la com
Un joli coup de marketing politique initié par le très rusé François Ruffin, dont on connaît le talent pour faire passer des vessies pour des lanternes. Cette vitrine entend renouer avec la tradition du « cordon sanitaire républicain », qui nous a permis d’échapper au pire depuis plusieurs décennies. Mais ne nous y trompons pas. Tout comme le RN « normalisé », cette alliance qui se veut un nouveau programme commun de la gauche, ne tardera pas à voir ressurgir ses vieux démons. Qui de cette plateforme prendra le leadership pour défendre les valeurs universalistes et la laïcité foulée des pieds par les insoumis ? Quelle position claire sera prise sur l’antisionisme dont on sait qu’il dissimule très souvent l’antisémitisme et la nouvelle judéophobie ? Quelle attitude le « Nouveau Front populaire » adoptera-t-il vis-à-vis de l’islam radical et des discours haineux alors que beaucoup, chez LFI, sont eux-mêmes des « entrepreneurs de la haine » qui mettent de l’huile sur le feu ? Même constat pour le RN : derrière le discours consensuel bien rodé et des éléments de langage tout en vernis de son leader, Jordan Bardella, qui mettra la limite entre les « bons » et les « mauvais » Français ? Ceux qui « aiment » la France ou ceux qui « ne l’aiment pas » ? Quelle place occupera notre pays dans l’Europe pour ces souverainistes qui, il y a encore quelques années, prônaient la fin de l’euro et revendiquaient le « frexit » ? Quel avenir militaire pour la France en cas de sortie de l’Otan à un moment historique, avec une guerre à nos frontières ? Sans oublier que dans les deux situations, l’addition économique sera sévère et risque de nous faire basculer dans l’abime.
Alors, oui Monsieur le Président, la situation était claire. Tellement claire qu’elle nous éblouit désormais et que l’on n’y voit plus rien, sinon la perspective d’une catastrophe annoncée. Le 30 et le 7 juillet, chacun votera en son âme et conscience, contraint de subir plutôt que de choisir. Mais au fond, tel est peut-être là le dessein d’Emmanuel Macron : écrire son histoire personnelle plutôt que de la subir. Aujourd’hui, espérons que l’Histoire reconnaitra les siens pour faire bloc contre les extrêmes.