Philippe Foussier, journaliste
Coexister, Convivencia, la Primaire populaire… On pourrait en citer bien d’autres, de ces structures dirigées ou inspirées par Samuel Grzybowski. Secrétaire générale d’Unité laïque, Aline Girard signe là une enquête fouillée sur ce personnage aux facettes multiples qui fonda à 16 ans Coexister, une association qui a obtenu en quelques années une respectabilité et une notoriété saisissantes. L’auteur démontre comment les ambitions idéologiques du jeune doctrinaire se sont toujours conjuguées avec un sens des intérêts impressionnant. Il s’est rapidement imposé au centre d’un réseau qui a ouvertement pour objectif de servir le soft power américain. Comme le note Jean-Pierre Sakoun dans sa préface, « à travers think tanks, fondations philanthropiques, multinationales socialwashed et greenwashed, toute la politique des États-Unis concourt à fournir à la nébuleuse de l’interconvictionnel, du community organizing et du social business les moyens de son emprise progressive sur la société française ».
Des réseaux et des ramifications
Coexister, que Samuel Grzybowski fonda en 2009, est la structure la plus connue de ce réseau dans lequel l’intéressé joue un rôle majeur. Mouvement de jeunesse « interconvictionnel », l’association propose « une nouvelle façon d’appréhender la diversité de religions et de convictions ». Elle affiche sa défiance à l’égard d’une laïcité française décrite comme « laïciste », lui préférant un modèle tel qu’il prévaut dans l’univers anglo-saxon, fondé sur la coexistence communautaire et confessionnelle. Regroupant des jeunes croyants de différentes confessions, Coexister entend démontrer que cette approche est adaptée aussi à la France, quand bien même une majorité de ses citoyens se déclare agnostique ou athée. Mais qu’importe, Samuel Grzybowski, à l’image de ces Young Leaders distingués par les États-Unis pour constituer des relais de sa vision du monde de l’organisation des sociétés, sait que le multiculturalisme a le vent en poupe.
« Par le biais de ces ONG, lobbies, think tanks et organisations philanthropiques dotés de financements privés considérables et spécialisés dans l’ingénierie socio-politique, les États-Unis installent un nouvel ordre du monde en répandant leur modèle de société », explique Aline Girard. Il n’est pas anodin que cette entreprise idéologique se déploie tandis que l’islamisme avance parallèlement ses pions et se heurte à la laïcité française et au-delà à la notion de citoyenneté républicaine qui ne reconnait, à l’inverse des pays anglo-saxons, que des individus et non des groupes, qu’ils soient fondés sur l’ethnie ou sur la religion. Car les réseaux entretenus par Coexister et ses ramifications trouvent dans les ambitions de l’islamisme des relais efficaces. Ainsi, on n’est pas surpris de retrouver en 2015 Samuel Grzybowski signataire d’un appel deux jours après le massacre du Bataclan, côtoyant le désormais célèbre rappeur Médine, celui-là même qui appelle alors à crucifier les « laïcards » et à l’application de la charia. Le CCIF, officine frériste dissoute depuis par décret, figure aussi dans cet aréopage de signataires.
Choix de société
Si on entend moins Samuel Grzybowski depuis quelques mois, il était néanmoins apparu sur le devant de la scène politique en amont de la dernière élection présidentielle. Il fut en effet l’un des principaux initiateurs de la Primaire populaire, qui entendait désigner le candidat unique de la gauche à ce scrutin. Finalement, au terme d’une procédure obscure, ce fut Christiane Taubira qui fut désignée puis prestement lâchée en rase campagne. Comme l’avait d’ailleurs commenté le candidat EELV Yannick Jadot, cette Primaire populaire « était devenue un gag ». Pressentant le crash, Samuel Grzybowski quitta courageusement l’entreprise avant la démonstration patente de son échec.
Quelle que soit la structure dans laquelle Samuel Grzybowski reviendra dans l’actualité, nul doute que l’ancrage idéologique auquel il a arrimé son action demeurera, prônant « le glissement progressif d’une éthique de la justice sociale à visée universaliste à une éthique de la sollicitude comme sensibilité et pratique morale ». On y retrouvera à coup sûr une logorrhée très identifiée : « Il excelle dans ce discours aux connotations religieuses qui, sans que l’on y prenne garde, insidieusement, cléricalise la langue depuis des décennies, installant un lexique de substitution qui envahit pensées et paroles : bien commun, bienveillance, sollicitude, humilité, respect mutuel, vulnérabilité, dévouement, tolérance, compassion, réparation, repentance, etc. Dans ce système sémantique, l’impératif du care n’est pas loin d’être l’équivalent de la vertu théologale de la charité ». Par la démonstration que ce petit livre nous propose, Aline Girard nous permet d’identifier clairement les choix de société qui nous sont offerts : céder à cette offensive communautariste et néo-libérale ou lui préférer l’universalisme républicain.
Aline Girard, Vers une société communautariste et confessionnelle. Le cas Samuel Grzybowski, préface Jean-Pierre Sakoun, Paris, Pont 9, 2023, 120 p., 16,90€