Emmanuel Debono
Samedi 30 septembre 2023. Un rassemblement se tient à Trappes « pour exiger la fin des violences policières et la fin de l’interdiction de l’abaya ». « Islamophobie », « pression », « répression », « oppression », « punition », « persécution », « assassinat », « criminalisation », « exploitation », « harcèlement »… Il n’y a pas de mots assez durs, dans la bouche des manifestantes, pour se convaincre de la violence actionnée par l’État français à l’encontre des citoyens musulmans. « En France, en 2023 », affirme l’une d’elles, « des jeunes filles sont exclues des écoles, des hommes se font tuer par la police, on ne peux (sic) plus se taire ! ». Une banderole dit non à la « police du vêtement », censée dorénavant s’exercer à l’entrée des établissements scolaires publics.
Ce que l’État refuse, en réalité, appuyé en cela par le Conseil d’État qui a validé la décision d’y interdire le port de l’abaya, c’est l’entrisme intégriste à l’école, conformément à la loi du 15 mars 2004 encadrant le principe de laïcité. Une élève a évidemment toute liberté pour porter, hors de ses murs, les tenues de son choix. Les 70 personnes – d’après les organisateurs – présentes à Trappe à l’appel du collectif « Touche pas à ma abaya ! », avec le soutien de l’organisation Révolution permanente, en sont pourtant convaincues : la France est un État colonialiste, raciste et sexiste. Nul salut n’est à attendre de cette « société horrible », explique Gwen, « prof » à Sarcelles. L’État est à la manœuvre et utilise l’Éducation nationale aux fins de cette oppression, affirme la militante qui parle d’une véritable « stratégie » : « non, l’Éducation nationale n’émancipe pas », son rôle est de « maintenir l’ordre ».
Inversion accusatoire
6 000 kilomètres séparent Trappes de Téhéran. Mais ce jour-là, par la force d’un slogan répété en boucle – « islamophobie, ça suffit ! » –, par une dénonciation aux accents complotistes de la France, par la défense d’un modèle idéologique où la religion doit prévaloir sur les lois de la République, par le témoignage, également, d’une jeune femme « victime » de la laïcité… cette distance semble s’être envolée ! Le pouvoir iranien peut exulter : sans qu’il lui soit nécessaire de recourir à ses canaux de propagande, des femmes, en France, reprennent publiquement ses arguments, sa désinformation, ses inversions accusatoires.
Il faut évidemment se réjouir qu’à Trappes, comme partout ailleurs sur le territoire national, l’État de droit autorise cela. Se rassembler, protester, s’exprimer sont des droits fondamentaux en France, et la République peut s’honorer de garantir à celles et ceux qui la haïssent le droit de le faire savoir.
De façon plus constructive et justifiée, le racisme dans la police – ou ailleurs – peut être dénoncé, tout comme les discriminations, l’accueil souvent indigne réservé aux gens du voyage, les préjugés odieux exprimés sur certains plateaux où règne une ambiance de café du commerce… On peut dire et faire tout cela, agir juridiquement contre des situations iniques, se mobiliser au sein d’associations, d’institutions et auprès des pouvoirs publics, pour refuser le mépris, l’arbitraire et l’injustice.
L’émancipation pour seul horizon
Si pression il y avait, ce samedi à Trappes, il s’agissait d’abord de celle qui infériorise les femmes, répand l’idée que les grands combats humanistes et universalistes qui jalonnent notre Histoire ne sont qu’une fable républicaine. Elle était celle qui tente d’imposer dans les esprits – en prétextant un « choix » – qu’il existe une norme religieuse qui passe par le voilement, en l’enrobant dans des revendications sociales attaquant l’ordre « bourgeois » et capitaliste. Cette surenchère victimaire illustre assez bien en définitive la propension actuelle à la post-vérité. Est-il de meilleurs moyens, en effet, que la réécriture de l’histoire et la transfiguration de la réalité pour asseoir un projet subversif ?
Il faut donc défendre l’école, dans son projet historique d’émancipation, et soutenir la communauté enseignante. La place de plus en plus concrète que l’institution accorde au développement de l’esprit critique devrait théoriquement aider à ce que ce type de discours fanatiques conserve une audience confidentielle. La démocratie peut en tout cas heureusement les digérer sans que la lutte contre les discriminations racistes et sexistes ne passent à la trappe.