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Philippe Foussier, journaliste
Un kaléidoscope. Voici comme la juriste et normalienne Gwénaële Calvès décrit la laïcité. Loin d’asséner une opinion arrêtée sur cette notion, l’auteur prévient d’emblée qu’elle n’est « jamais univoque » et qu’elle fait l’objet de « nombreux conflits d’interprétation ». De surcroît, ses règles sont « évolutives » et, selon qu’on l’aborde sous tel ou tel angle, on pourra en faire une lecture différente. Ces angles, qu’elle définit comme des ensembles de normes politico-juridiques, sont de quatre ordres : liberté de conscience et de religion, séparation du politique et du religieux, égalité des droits et, enfin, neutralité. Pour Gwénaële Calvès, la convocation d’un ensemble au détriment d’un autre conduira inévitablement à appréhender la laïcité, sinon avec un présupposé, tout du moins avec une grille de lecture particulière.
Si ce petit livre peut donc sembler déroutant au lecteur en quête de clarification vis-à-vis d’un principe si fréquemment dévoyé et instrumentalisé depuis des décennies, il fournit toutefois des pistes fort utiles pour nourrir la réflexion et alimenter le débat. Et si l’approche générale est au premier chef juridique –l’auteur est professeur de droit public à l’Université de Cergy-Pontoise –, Gwénaële Calvès n’omet pas de planter l’indispensable décor historique sans lequel on se prive de la compréhension de la laïcité française. Elle s’est en effet construite au terme d’un « violent conflit dont elle porte encore l’empreinte » avec l’Église catholique. Sont ici opportunément rappelées les marques d’hostilité des dignitaires du catholicisme, y compris après le vote de la loi de 1905.
Dans ce petit livre fourni et précis, l’auteur montre aussi comment les pouvoirs publics ont contribué à affaiblir la laïcité, s’étonnant parfois eux-mêmes qu’elle ne soit pas davantage respectée par des citoyens auxquels ils montrent pourtant le mauvais exemple.
L’auteur évoque aussi très judicieusement les conditions dans lesquelles la laïcité a fait son entrée dans la Constitution française en 1946, à la faveur d’un amendement communiste mais dans un contexte de progression du courant démocrate-chrétien. Elle montre aussi comment, à partir des années 1980, a été inventée la laïcité adjectivée par une fraction de la gauche dont la Ligue de l’enseignement a été un efficace laboratoire. Elle a raison de souligner que ce sont les divisions de la gauche qui, depuis lors, ont surtout affaibli la laïcité face à ses adversaires. À une période où précisément la laïcité aurait eu besoin d’être soutenue pour résister aux offensives religieuses telles qu’elles se sont multipliées depuis une trentaine d’années, notamment sous l’impulsion du phénomène mondial d’expansion de l’islamisme.
Astuces et petits arrangements
Dans ce petit livre fourni et précis, l’auteur montre aussi comment les pouvoirs publics ont contribué à affaiblir la laïcité, s’étonnant parfois eux-mêmes qu’elle ne soit pas davantage respectée par des citoyens auxquels ils montrent pourtant le mauvais exemple. C’est notamment vrai s’agissant du financement public des cultes, dont l’interdiction définie par la loi de 1905 a été « discrètement détricotée au fil des décennies ». Pourtant, comme en 1795 à l’époque de la première séparation, « l’interdiction d’aider financièrement les cultes, dans l’esprit du législateur de 1905, formait un élément crucial du régime de laïcité ». La multiplication des baux emphytéotiques, qui ont d’abord concerné les églises catholiques avant de devenir une procédure de financement indirect des mosquées, est ici pointée, comme l’est la porosité entre le cultuel et le culturel.
« Le principe de laïcité a partie liée avec la conception civique – ou universaliste – de la citoyenneté. »
Gwénaële Calvès
Parallèlement à la proclamation incantatoire de grands principes, nombre de responsables publics, nationaux comme locaux, se livrent plus discrètement aux « astuces et aux petits arrangements », comme le souligne preuves à l’appui Gwénaële Calvès. De ce point de vue, la loi d’août 2021, destinée initialement à endiguer les phénomènes de séparatisme islamiste, a étendu les sources de financement des cultes en leur permettant une activité de type commercial « pourtant très éloignée de leur objet, exclusivement cultuel aux termes de la loi ». Pour plagier la célèbre formule cinématographique, toute ressemblance avec des pratiques électoralistes ou clientélistes serait purement fortuite…
Finalement, les controverses autour de la laïcité pourraient être résumées par la philosophie même que cette notion induit. « Le principe de laïcité a partie liée avec la conception civique – ou universaliste – de la citoyenneté », relève justement Gwénaële Calvès. On voit bien que c’est cette conception qui est dans le viseur de ses adversaires, souvent fascinés par le modèle multiculturaliste anglo-saxon, qui ambitionnent au contraire que soient reconnus des droits collectifs à des groupes, définis « par une communauté d’origine, de culture ou de croyance », pour reprendre les termes du Conseil constitutionnel.