Emmanuel Debono, rédacteur en chef
En novembre 2025, la perspective de la tenue d’un colloque au Collège de France coorganisé par la Chaire d’histoire contemporaine du monde arabe de cette vénérable institution fondée par François Ier et par le Centre arabe de Recherches et d’études politiques (Carep), officine du Qatar, a soulevé des critiques. Le thème du colloque, « L’Europe et la Palestine », n’était évidemment pas en cause, pas plus que l’absence de pluralité chez ses participants ou sa dimension militante. L’une et l’autre sont fréquentes pour ce type de manifestation et l’égide universitaire n’a jamais proscrit les engagements politiques ni la volonté d’être au plus près d’une actualité bouillonnante. Alors que la date approchait, le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche Philippe Baptiste a fait part de ses préoccupations à l’administrateur du Collège de France qui a pris la décision d’annuler le colloque, en raison de « risques forts de troubles à l’ordre public ». L’événement a été rapatrié dans les locaux du Carep où il a bénéficié d’une retransmission en direct et, en conséquence, d’une certaine publicité. À croire que l’officine qatarie – puisque tel était le sujet central – avait tout prévu : le scandale, l’annulation et le « buzz », sans lequel ce type d’opération d’influence n’a pas sa raison d’être. Face aux critiques qui pointaient en amont du colloque, Doha n’avait pas voulu réviser le programme, trahissant la nature réelle d’une initiative qui avait tout d’un meeting politique nonobstant les attaches universitaires d’une majorité d’intervenants.
Le Droit de Vivre a publié une enquête de notre collaboratrice Ornella Guyet, sous la forme de quatre articles explorant les profils des contributeurs, leurs écrits et prises de position, ainsi que les propos effectivement tenus lors du colloque1La série « Liberté académique » est à retrouver sur ce site.. Un travail de salubrité intellectuelle révélant l’écosystème antisioniste radical du forum, les attaques contre « Israël et ses lobbies », la dénonciation d’un « État colonial maléfique », l’éloge de la « résistance palestinienne » et tant d’autres déclarations si peu académiques, couronnées par une prise de parole de la militante antisémite Francesca Albanese dont la mission première semble être de dévoyer les couleurs de l’ONU. Avant même le colloque, une simple consultation du programme suffisait à alerter de cet entrisme idéologique poussé par le Qatar. Cela n’empêcha pas nombre d’universitaires de voler au secours des libertés académiques menacées par… l’alerte du ministre, qui fut d’ailleurs sommé par un grand nombre d’entre eux, toute honte bue, de démissionner.
Vigilance
Fallait-il se garder de toute dénonciation pour ne pas donner plus de visibilité à cette entreprise de propagande ? Assurément non. Répétons-le, il y avait là une opération d’entrisme qui ne pouvait être laissée sans réponse. En l’occurrence, la Licra et Le DDV peuvent s’enorgueillir d’avoir promptement réagi pour défendre, oui, les libertés académiques menacées. Ils l’auraient fait tout aussi prestement si un colloque sur l’immigration avait été organisé et financé dans des conditions analogues par Pierre-Édouard Stérin et son projet Périclès, avec des tables rondes mêlant universitaires et militants émargeant à l’extrême droite, modérées par des journalistes de Frontières et de L’Incorrect. Il est d’ailleurs vraisemblable qu’en pareilles circonstances, bon nombre d’universitaires montés au créneau pour défendre le Carep en caricaturant, tel François Héran, professeur au collège de France, le rôle et l’influence de la Licra, auraient joint leurs protestations aux siennes. Nul doute non plus que l’ineffable Ligue des droits de l’homme aurait affirmé dans un communiqué antithétique à celui qu’elle publia le 11 novembre 2025, mais titré à l’identique2 « Au Collège de France, la liberté de recherche doit prévaloir ! », communiqué du 11 novembre 2025., que « la liberté de recherche doit prévaloir », sans oublier de dénoncer un entrisme trumpien.
Dans cette affaire, le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche a joué son rôle. Et la Licra le sien : documenter, informer, alerter, comme elle l’a toujours fait au cours de son histoire intimement liée à la défense de la démocratie et de la République… ce que les militants anti-israéliens et leurs relais médiatiques, tel le blog antisioniste Orient XXI ou les soutiens d’un professeur antisémite de l’université de Lyon 2, ont interprété comme cela les arrangeait : en laissant entendre que la Licra veut et peut faire taire tous ceux qui ne pensent pas comme elle. Libre à eux de cultiver leurs fantasmes dont on se demande (si peu) de quoi ils sont le nom.
Ni le silence, ni la pusillanimité ne peuvent tenir lieu de conduite et de politique face à de tels enjeux. Et de la politique, hélas, il en faut, à l’heure où ces lieux de la construction du savoir, de la connaissance et du débat, dans la confrontation des idées et des thèses, sont la cible de groupes de pression. Vigilance demeurera notre maître-mot. Dût-on déplaire.














