Françoise Morvan, essayiste
Au début des années 2000, un important travail d’information1Ce travail a principalement été le fait du Groupe Information Bretagne qui a rassemblé des chercheurs indépendants travaillant de manière apolitique sur l’histoire du nationalisme breton, l’instrumentalisation de langue bretonne à des fins identitaires, la fabrique d’une néoculture celtique par un puissant réseau économique et le poids croissant des réseaux ethnistes européens, aussi bien en Bretagne qu’en Corse, au pays basque, en Alsace et autres régions. C’est dans ce contexte que la négation de l’antisémitisme des « grands hommes » du mouvement breton partout célébrés est apparue d’autant plus grave que, dans le même temps, émergeait une frange radicalement raciste et antisémite du mouvement breton (ainsi ai-je pu faire identifier Boris Le Lay, maintes fois condamné depuis, grâce à une procédure engagée par Richard Malka). a permis de mettre en lumière la collaboration des militants nationalistes bretons avec les nazis et la réécriture de l’histoire induite par le poids croissant des nationalistes sur la culture en Bretagne. En 2000, le collège Diwan (en langue bretonne) est contraint à se débaptiser pour continuer à percevoir ses subventions – il portait le nom de Roparz Hemon, collaborateur des nazis et auteur de textes antisémites. En 2002, a paru mon essai Le Monde comme si, sous-titré nationalisme et dérive identitaire en Bretagne, qui résume l’histoire du « mouvement breton » et souligne le rôle d’un puissant lobby patronal breton rassemblé à l’Institut de Locarn soutenant le projet des nationalistes2Sur l’Institut de Locarn, fondé en 1991, et à l’origine de l’association Produit en Bretagne, la remarquable enquête de la revue Golias (mars-avril 1998) qui appelait à une prise de conscience est restée sans égale et d’ailleurs sans suite, preuve de la censure qui s’exerce en Bretagne. : la France « jacobine » est, selon eux, vouée à disparaître et laisser place à une Bretagne enfin libérée des pesanteurs de l’État-nation.
Relayé par des journalistes et des associations antiracistes3Ainsi Éric Conan pour L’Express, la Ligue des Droits de l’Homme de Rennes qui, en 2000, a diffusé le dossier Réécriture de l’histoire en Bretagne donnant les premières traductions de textes antisémites en breton parus dans La Bretagne de Yann Fouéré, le Groupe Information Bretagne, le site régionalismes.info, etc.), ce travail a permis de protester contre les hommages rendus à des auteurs de textes antisémites et de faire condamner quelques militants identitaires pour incitation à la haine raciale.
Les informations données amenaient une prise de conscience qui risquait d’être gênante. C’est dans ce contexte que s’inscrit la réécriture de l’histoire en cours et je voudrais attirer l’attention sur un exemple particulièrement probant – et ce d’autant que le silence des universitaires face à ces productions est assourdissant.
Rien ne prédisposait ce militant indépendantiste breton, qui se présente comme un « ingénieur menant sa carrière dans le secteur de la défense »4C’est ainsi qu’il est présenté sur ses quatrième de couverture., à se transformer en historien. Yves Mervin reconnaît d’ailleurs ne pas l’être. Néanmoins, depuis 2011, il produit à intervalles réguliers des volumes diffusés par la toute-puissante Coop Breizh, fer de lance du combat nationaliste breton, qui assure leur promotion : ces volumes procèdent à une réécriture de l’histoire d’autant plus dangereuse que rencontres en librairie, invitations et hommages divers se multiplient depuis des années. Il ne s’agit donc pas d’une entreprise d’un militant isolé mais de l’expression d’une entreprise idéologique concertée.
Se réclamer du soutien des défenseurs de la mémoire juive pour absoudre l’antisémitisme des nazis bretons
En 2011, Yves Mervin publie chez l’éditeur nationaliste Yoran embanner un épais volume intitulé Arthur et David, Bretons et Juifs sous l’Occupation. Il explique en préface s’être engagé dans sa croisade en faveur de la réhabilitation des militants nationalistes bretons accusés d’être antisémites après avoir été indigné que l’on ait débaptisé le collège Roparz Hemon, où son fils était inscrit, et avoir lu Le Monde comme si où je cite les articles antisémites de Roparz Hemon – je traduis d’ailleurs des textes antisémites d’autres auteurs de la même mouvance, et cela dans le but d’inviter à réfléchir à l’idéologie qui a été à l’origine de la grande dérive nazie du mouvement breton (puisque les militants les plus fanatiques se sont enrôlés en 1943 sous uniforme SS pour combattre la France dans une formation dite « Bezen Perrot »).
C’est cet appel à vigilance qui, d’après lui, a incité Yves Mervin à se reconvertir afin de produire une contre-histoire.
En tête de ce volume, il remercie des militants nationalistes engagés dans le même combat, notamment Tristan Mordrelle, directeur de la revue révisionniste L’Autre Histoire et animateur du réseau Ogmios5Au sujet de la librairie et des éditions Ogmios, voir le dictionnaire Les Droites nationales et radicales en France de Jean-Yves Camus et René Monzat, PUL, 1992, p. 452. Il semble important de souligner le rôle joué par Tristan Mordrelle dans l’actuelle campagne d’Éric Zemmour (Libération, dans son numéro du 14 novembre 2021, indique que ce dernier a fait appel à lui pour lever des fonds en vue de sa campagne présidentielle). Né en Argentine où son père s’était réfugié grâce à la rat line pour échapper à sa condamnation à mort après la Libération, il bénéficie de soutiens internationaux. C’est à tort que l’on minimise le rôle de ces militants qui œuvrent dans l’ombre à partir des réseaux mis en place sous l’Occupation., fils d’Olivier Mordrelle (dit Olier Mordrel), incarnation du nazisme breton ; Pierre Lemoine, soutien du parti nationaliste d’extrême droite Adsav aux côtés de Pierre Vial, fondateur de l’association völkisch Terre et Peuple ; Per Denez, autre militant nationaliste, éditeur des textes racistes et antisémites de Youenn Drezen parus dans la presse collaborationniste bretonne… et le Centre de documentation juive contemporaine au Mémorial de la Shoah, Yad Vashem à Tel Aviv. Pour absoudre l’antisémitisme des nazis bretons, rien de mieux que de se réclamer du soutien des défenseurs de la mémoire juive : Yad Vashem pour défendre Roparz Hemon…
De même Yves Mervin se présente-t-il comme défenseur du « Devoir de mémoire en Bretagne » (nom qu’il a donné à son site) pour travestir les faits et comme chercheur apolitique quand son travail est essentiellement politique : cette étrange reconversion se justifie par le souci de fournir aux élites de la future nation une histoire conforme aux exigences de la reconquête. Il précise que les nationalistes bretons revendiquent naturellement « la réunification de la Bretagne et des institutions régionales aux pouvoirs élargis, comme l’Écosse et la Catalogne, plus simplement l’accession directe à l’Union européenne comme 29e État membre comme l’Irlande ou le Danemark » (p. 483).
Dans ce but, il a fondé en 2008, le « Cercle Pierre-Landais ». Pierre Landais, trésorier du duc de Bretagne François II, y est présenté comme l’incarnation du retour à la prospérité du duché qu’il aurait défendu contre la France. Cet affairiste (qui finit pendu, accusé de corruption) est donc chargé d’incarner le combat des Bretons pour leur liberté : liberté d’entreprendre et liberté d’en finir avec l’héritage de la Révolution française.
Roparz Hemon et Yann Fouéré, agents de la Gestapo en Bretagne
En finir avec l’héritage de la Révolution française, c’est aussi en finir avec la Résistance, aussi bien gaulliste que communiste, afin de défendre le mouvement breton accusé d’avoir massivement collaboré. Si les Bretons ont plus souffert de la Résistance que des nazis (thèse d’Yves Mervin), pourquoi ne pas absoudre ceux qui ont pris le parti de la collaboration ? Puisque les grands auteurs partout promus, les Roparz Hemon, Youenn Drezen, Xavier de Langlais, Maodez Glanndour et tant d’autres ont écrit des textes antisémites, pourquoi ne pas fouiller la presse pour démontrer qu’ils n’étaient, en fait, que les auteurs de petites phrases anodines perdues dans la masse ?
Au terme d’Arthur et David, Yves Mervin affirme que Roparz Hemon n’était pas antisémite. Louis Némo, dit Roparz Hemon, dirigeait une radio et des organes de presse subventionnés par l’occupant, ainsi Arvor où se lisent sous son pseudonyme de Pendaran des textes antisémites mais, pour Yves Mervin, ces textes ne sont pas antisémites : en effet, écrire comme Roparz Hemon, le 26 juillet 1942 dans son journal Arvor, que « les Celtes ont subi plusieurs siècles de honte et d’esclavage, depuis le temps où les légions romaines débarquaient dans l’île jusqu’au temps où feue Marianne livrait notre pays à ses juifs » n’est pas antisémite, mais juste « indélicat » (p. 392).
Le fait que je rappelle dans le dossier « Réécriture de l’histoire », rédigé pour la Ligue des Droits de l’homme de Rennes en 2000, que cet article de tête avait été publié dix jours après la rafle du Vél’ d’Hiv et qu’il s’agit, dans ces circonstances, d’un « appel au meurtre », est, à en croire le thuriféraire de Hemon, tout à fait inconvenant car « la rafle des Juifs bretons » a vraiment été « menée de façon discrète » (p. 390).
Autre argument : la pièce de Hemon, Un den a netra, n’est, d’après lui, pas du tout antisémite, comme je l’affirme ; elle met juste en scène le juif Rozenkranz, patron de presse complotiste qui trame dans l’ombre un soulèvement pour lequel il va falloir un ouvrier à sacrifier afin de pouvoir lancer ensuite une campagne de presse dénonçant ce lâche assassinat ; il ne s’agit pas du tout d’une allusion à un supposé complot des ploutocrates juifs communistes contre l’Allemagne… C’est juste une jolie pièce de théâtre qui montre que Roparz Hemon se méfiait de la politique et préférait « l’engagement culturel et artistique » (p. 396).
J’ai rappelé que Roparz Hemon et Yann Fouéré figurent sur la liste des agents de la Gestapo en Bretagne, mais cette liste n’a pour Yves Mervin aucune valeur. Fouéré, autre patron de presse payé par l’occupant, et directeur de La Bretagne, où se lisent les pires articles antisémites jamais écrits en breton, est absous : les articles antisémites de La Bretagne sont bien mentionnés allusivement par Yves Mervin mais pour être enlisés au milieu d’un fatras de citations d’articles parus dans Le Phare de la Loire ou L’Ouest-Éclair (p. 135-141). La responsabilité de Fouéré dans ces publications, ses articles de propagande en faveur de l’Europe nouvelle, son rôle de délateur, son activité après-guerre en Irlande au service des SS du Bezen Perrot ? Effacés.
Une « tribu » juive accusée de proliférer et de s’immiscer partout
L’essai de Claude Toczé, Les Juifs en Bretagne, publié par les Presses universitaires de Rennes en 2006, est accusé d’atteindre « des sommets dans la confusion mémorielle et l’autoflagellation, l’exacerbation de la question juive dans la mémoire de la Seconde Guerre mondiale et la frénésie antibretonne » (p. 263). Oser dénoncer l’antisémitisme des militants bretons, c’est, en effet, d’après lui et tous les militants qu’il influence, être « antibreton » et acharné à voir des nazis partout dans le but de nuire à la Bretagne. Ainsi distribue-t-il des points Godwin : manière d’interdire toute mention du nazisme des grands hommes du mouvement nationaliste breton – mouvement qui fut dès ses origines haï par la population bretonne, et qui le fut plus encore lorsqu’il s’engagea dans la collaboration et reçut les subsides de l’occupant.
Le passage le plus odieux du livre est celui qui exploite un article de L’Heure bretonne, organe du PNB nazi, donnant dans la dénonciation des « youtres » avec acharnement et appelant au meurtre. Le 26 juillet 1941, ce journal constamment ignoble dénonce « le juif M. P. Weill », médecin rennais accusé par un patient (selon toute apparence un militant nationaliste libéré par les Allemands) de l’avoir mal soigné car il aurait fait preuve d’« hostilité à l’égard des Bretons » (c’est-à-dire à l’égard des militants bretons) : « Même parti, et bien loin peut-être, pour toujours, souhaitons-le », écrit le journaliste, P. Weill a laissé des preuves qui nécessitent qu’on le traque, au cas où il aurait pu s’échapper. Délation…
La semaine suivante, le même journal publie en dernière page un nouvel article évoquant le « problème juif ». Antisémite ? Pas du tout ! D’après Yves Mervin, il faut, tout au contraire, louer la largeur d’esprit des militants bretons : « Le 9 août 1941, L’Heure bretonne fait indirectement un compliment à la communauté juive », écrit-il.
Voici l’article laudateur :
Bretons émigrés
L’esprit de tribu
Le monde est en présence d’un grave problème : le problème juif. En quoi l’errance des Juifs est-elle devenue une calamité ? C’est que le Juif est doué d’une merveilleuse qualité ; l’esprit de famille ou, pour mieux dire, l’esprit de tribu. Laissez un Juif entrer dans la place, demain ils seront dix, vingt, puis cent, s’entraidant, se poussant en frères.
Les Irlandais émigrés en nombre aux États-Unis emportèrent cette fraternité de clan, cet esprit de famille : ils ont joué dans la libération de l’Irlande un rôle de tout premier plan. De Valera lui-même est un Irlandais d’Amérique.
Bretons émigrés, mettez-vous à l’école des Juifs et des Irlandais. Sachez vous “mettre en quatre” pour vos compatriotes. Qu’on ne voie plus entre Bretons l’incompréhension et l’indifférence dont témoigna Chateaubriand, pair de France, puissant, arrivé, à l’égard du pauvre Brizeux arrivant à Paris, sans argent ni relations, mais plein de mérite.
Bretons émigrés, ne croyez pas que le problème sera résolu sans vous, que vous ne pouvez rien dans votre exil. Vous êtes une force qui compte dans notre relèvement et nous comptons sur votre aide totale, sur votre esprit de tribu, toujours vivace, vous êtes nos “frères d’Amérique” et si la fortune vous a favorisés, il est de votre devoir d’être nos “oncles d’Amérique”, pour le triomphe de notre cause. D. K.
Le journaliste anonyme (D. K. est un pseudonyme) juge que le « problème juif » est un « grave problème » et que, vieille thèse de l’extrême droite, la « tribu » prolifère et s’immisce partout : l’anonyme nationaliste appelle les Bretons à s’inspirer de « l’esprit de tribu » qui, bien sûr, dans le cas des Juifs est une « calamité » mais dans le cas des Bretons, ferait merveille pour le triomphe de la « cause ». Quelle cause ? Le reste du journal l’expose clairement. La première page, illustrée par René-Yves Creston (que l’on fait à présent passer pour un résistant), montre un Breton coupant les chaînes qui rattachent la Bretagne à la France.
Ce même Creston, sous le même pseudonyme de Halgan, fait l’apologie de l’attentat du groupe terroriste Gwenn-ha-du contre la statue figurant l’union de la Bretagne et de la France (cet attentat, en 1932, avait été organisé par Célestin Lainé qui allait fonder le Bezen Perrot). Depuis l’éditorial de G. Connan (le journaliste Joseph Jaffré) jusqu’aux « Souvenirs d’un hors-la-loi » de Théophile Jeusset, fondateur du parti national socialiste breton Breiz da Zont, tout ce numéro est consacré à célébrer l’attentat de 1932. Le journal a été numérisé et peut être lu en ligne sur le site Gallica. Il est facile de s’assurer de sa teneur : haine de la France, haine de l’Angleterre, dénonciation du régime de Vichy incapable de comprendre la glorieuse politique allemande, nouvelles non moins glorieuses du front russe, tout n’est que propagande séparatiste et approbation de la politique allemande. L’appel à imiter le légendaire grégarisme des « tribus » d’Israël est donc un appel à poursuivre le combat pour résoudre le « grave problème juif » et soutenir l’occupant.
Quand la Résistance est censée avoir fait plus de mal à la Bretagne que les nazis
En 2013, Yves Mervin poursuit son exploitation des archives en publiant un volume intitulé Joli mois de mai 1944 : la face cachée de la Résistance en Bretagne. Sa thèse est simple : la Résistance a fait plus de mal à la Bretagne que les nazis ; les bons militants bretons n’ont fait que se défendre contre les malfrats communistes qui sévissaient partout et les crimes des SS du Bezen Perrot ont été, comme l’antisémitisme du mouvement breton, perfidement exagérés pour nuire à la Bretagne. Les archives exploitées de manière tendancieuse sont ainsi mises au service du « combat breton ».
En 2016, il recommence, sous le titre volontairement ambigu de Viens rejoindre notre armée ! en réécrivant, cette fois, l’histoire des engagements des militants bretons aux côtés des nazis, de manière à les situer, comme il s’en vante, « dans une perspective historique affranchie des récits officiels encore en vigueur ». Réhabilitation de l’abbé Perrot, exécuté par la Résistance, de Paul Monjarret, exfiltré en Allemagne par le SD6Le Sicherheitdienst (SD) était en Allemagne, le service de renseignement et de maintien de l’ordre de la SS. pour rejoindre le Bezen Perrot et présenté comme un « déporté », la liste n’en finirait pas des nationalistes engagés dans la pire collaboration et ainsi réhabilités…
En octobre 2020 paraît un nouveau livre, consacré cette fois à démontrer que la bataille de Saint-Marcel, au cours de laquelle la Résistance a affronté l’armée allemande, a été une défaite.
Saint-Marcel 18 juin 1944, enquête sur un désastre s’applique encore, comme les précédents livres, à discréditer la Résistance. Cette fois, il s’agit de démontrer que le combat de Saint-Marcel n’a pas été une victoire militaire. Les historiens n’ont jamais prétendu qu’il s’agissait d’une victoire militaire, mais d’un épisode majeur de la Résistance, commémoré à juste titre comme symbole de la mobilisation des Bretons contre l’occupant. La démonstration sans objet d’Yves Mervin se caractérise par une omission de taille : si la bataille de Saint-Marcel a eu des conséquences tragiques, c’est que l’armée allemande, SD, Bezen Perrot et miliciens en tête, a exercé de sanglantes représailles contre la population civile. Ces exactions sont connues7Voir notamment Miliciens contre maquisards, Ouest-France, p. 162-3. mais pas un mot à ce sujet de celui qui se donne pour l’authentique historien de la bataille de Saint-Marcel : à l’en croire, les tortionnaires sont les résistants…
Cette histoire sélective se termine par une page très particulière. On peut y lire sous le titre Devoir de mémoire en Bretagne : se souvenir et réfléchir un article intitulé « Yann Fouéré a sauvé l’Humanité ».
Cet article est le suivant :
« Êtes-vous antiyoudomicrologophile ? Si, si, je vous parle français. Et un peu grec ancien par la même occasion… Êtes-vous donc anti-youdo-micro-logo-phile ? En Bretagne, nous avons quelques antiyoudomicrologophiles : il y a Pierrick, le pionnier, et surtout notre Françoise nationale. Miss Points Godwin en Bretagne… et aussi quelques émules qui ne sont pas prêts (sic) de la rattraper.
A l’occasion de mon livre Arthur et David – Bretons et Juifs sous l’occupation publié chez Yoran Embanner en 2011, j’ai moi-même mené une enquête dans le mouvement breton sur les relations entre les nationalistes bretons et les juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. Certes il y eut des propos antisémites et des dénonciations et je n’ignore certainement pas ces aspects. Mais je préfère positiver. Et il y a de quoi.
Tout d’abord, ma petite phrase antisémite préférée… »
Suit la reproduction du début de l’article « L’esprit de tribu » de L’Heure bretonne du 9 août 1941…
Sont donc dénoncés comme « antiyoudomicrologophiles » Pierrik Le Guennec (qui a lu très consciencieusement la presse nationaliste bretonne et souligné sur le site régionalismes.info la gravité des textes antisémites présentés comme anodins) et moi-même. Nous sommes l’un et l’autre accusés d’être « antiyoudomicrologophiles», c’est-à-dire amateurs de microscopiques petites phrases antisémites disséminées dans l’inoffensive presse nationaliste bretonne de l’Occupation — par exemple, La Bretagne de Yann Fouéré, ici qualifié par Yves Mervin de sauveur de l’Humanité.
Plus ignoble encore, l’article dont ce texte est extrait et que le lecteur est invité à lire en ligne donne une liste de nationalistes pronazis, voire de Waffen SS – ce qu’Yves Mervin appelle « le gratin nationaliste de cette joyeuse époque » – en assurant que chacun d’entre eux a eu son bon juif : Ange Péresse, le pire tortionnaire du Bezen Perrot, son chef Célestin Lainé, son ami Monjarret, Delaporte, le chef du PNB nazi et les agents de la Gestapo Olier Mordrel, Roparz Hemon et Yann Fouéré : à chacun son juif ! Eichmann n’avait-il pas un ami juif ? Alors pourquoi pas Debauvais dont le fils était dans les jeunesses hitlériennes ?.
C’est l’IDBE (Institut de documentation bretonne et européenne — « bretonne et européenne » mais surtout pas « française ») en lien avec la Fondation Fouéré qui a assuré la promotion de ce livre comme des précédents.
L’antisémitisme nié permet de banaliser l’idéologie raciste d’un mouvement breton construit depuis les origines sur la croyance en une celtitude fantasmée, prétendument opprimée par la France républicaine : le retour au règne des « tribus » naguère appelé par le président de l’Institut de Locarn et ses invités8Université d’été de l’Institut de Locarn, 30-31 août 2012. Il s’agissait de créer une fédération de « tribus européennes, dont la tribu bretonne ». était déjà présent dans l’article antisémite de L’Heure bretonne loué par Yves Mervin. Quand la Bretagne sera libre, les juifs y seront pleinement « admis dans leur quête du divin », écrit-il, car le juif est forcément religieux, et d’ores et déjà, comme les danses bretonnes et les « danses du shetl » (sic) se ressemblent, « Israël n’est-il pas un pays celtique à inviter lors d’un prochain festival interceltique à Lorient ? » (Arthur et David, p. 430).
Les juifs sont finalement très utiles pour venir cautionner l’existence de l’ethnie (ne parlons plus de « race celtique » comme Breiz Atao) celtique et de sa religion, car la quête de l’identité et du divin sont inséparables. Entre tribus, il faut se soutenir pour mieux faire triompher la cause, et, comme Pierre Landais, savoir user de la politique pour son profit.
Ce n’est pas seulement contre les nazis que les résistants se sont battus mais aussi contre cette idéologie et ce projet politique, étayés par une réécriture de l’histoire dont les Bretons ne sont pas à même de mesurer les dangers, la propagande identitaire omniprésente ne laissant place à aucun discours critique qui ne soit objet de censure.